Vortex, un Amour revu par Gaspard Noé, et assez surprenant dans ses qualités, en cela qu’on espérait voir le réalisateur se détacher du film de Haneke pour imposer son style si particulier… sauf que c’est très rarement le cas et pourtant dérange peu, parce que l’histoire est belle, la mise en scène fertile, les acteurs très bons. D’abord, en termes de réalisation, l’on aimera beaucoup l’idée du split screen pour représenter le point de vue d’un couple constamment ensemble, principe assez beau, puisque l’idée même du split screen réside précisément dans le fait de représenter deux espaces différents en même temps. Or ici, les deux regards s’entrecroisent, voient quasiment la même chose… mais c’est dans ce minuscule écart que le film définit sa finesse, avec évidemment l’idée, en creux, du compte à rebours (puisque le split screen sert moins à représenter deux points de vue différents que l’idée que, rapidement, ils n’existeront plus).
Aussi, il y a les acteurs, et c’est là que Gaspard Noé réussit son plus grand pari : à savoir celui d’imposer Dario Argento en tant qu’acteur. Au départ, on était un peu inquiet de voir le metteur en scène s’exposer ainsi de la sorte, se révélant nu dans la douche, peinant à parler français. Mais il est en fait excellent, beau, et le principe de la mise en abîme que Noé visait s’accomplit : car il ne filme plus seulement la perte ou la dissolution d’un homme, mais celle de tout son art, de toute sa carrière, de toute son œuvre. À ce moment-là, Vortex devient un film sur le cinéma en tant que tel et une déclaration d’amour. De plus, le choix d’Alex Lutz pour jouer le fils ne nous inspirait pas non plus une grande confiance : symbole de l’acteur comique issu de Canal Plus, on craignait que sa présence dénote avec celle d’Argento et de Françoise Lebrun. Mais il est subtil, excellent, et parvient parfaitement à devenir le fils de ce couple.
Autre point fort, l’on aimera comment Noé filme le Paris de Stalingrad, celui des dealers de cracks, comme un enfer ambigu, muet, que l’on n’entend qu’à distance, et qui pousse encore davantage le couple à s’enfermer et s’oublier dans cet appartement, comme une dernière muraille, dernier rempart contre le temps qui passe, mais qui s’apprête à s’écrouler. De cette façon, les dernières minutes, succession de plans figés où l’on découvre l’appartement à présent vide sont sublimes et quasiment incroyables (pas si loin d’ailleurs de la plus belle partie de A Ghost Story) : on est dans l’envers du cinéma, qui éternise ce qui passe, qui retourne contre le réel sa propre cruauté, et la transcende. Philip Glass disait que la quête d’un artiste, c’est d’apprendre à trouver sa voix, puis d’apprendre à la perdre. C’est ce que Gaspard Noé a fait. Et c’est ici son meilleur film. 3,5/5.
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