The Substance, dont le côté mystérieux, feutré et suranné avait de quoi nous plaire, à la fois dans la lignée des grands réalisateurs du male gaze des années 80, type Cronenberg et De Palma, tout en empruntant ici le point de la vue de la femme, avec ce trio se répondant l’un à l’autre, entre l’héroïne (Demi Moore), sa projection (Margaret Qualley) et la projectrice (la réalisatrice elle-même, Coralie Fargeat). Sauf que rapidement, tout paraît unilatéral, répétitif et grotesque : passe encore l’aspect si allégorique et simpliste qu’il en est difficilement crédible du système de substance. C’est presque le pacte à accepter immédiatement : que le film sera purement métaphorique, onirique. Mais au-delà de cette problématique, c’est dans la bêtise lourde de l’allégorie que le film épuise. D’abord avec le personnage de Dennis Quaid et ces plans abusifs sur sa bouche, ses dents, mangeant ses crevettes comme il mange les actrices dont il se nourrit. Ensuite, surtout, avec l’hypocrisie générale du récit. Et c’est là vraiment où le bât blesse. Car The Susbtance s’avère, dans sa chair, être le contraire absolu de ce qu’il dit. D’abord, il n’est pas qu’inspiré de Cronenberg, De Palma ou encore Lynch : il les pompe. Il est, en cela, tout ce qu’il dénonce : il critique ces producteurs qui volent et exploitent les autres pour leur propre ego. Mais le film est coupable du même vice. Ensuite, vient le problème de Demi Moore : ici, Fargeat veut dénoncer le traitement de la femme âgée dans la société du spectacle et, plus généralement, dans notre monde dominé par le Patriarcat. Sauf que Fargeat n’ose pas prendre une vraie femme âgée : elle prend une bombasse, musclée, botoxée, siliconée. Elle prend une femme qui est déjà parfaite. Qui a déjà utilisé, en réalité, la substance. Par conséquent non seulement le film est hypocrite, mais il se condamne à une succession d’incohérences, où les personnages masculins, tous caricaturés (à l’image comme dans le script) la méprisent et l’ignorent, parce qu’elle est vieille. Or c’est absurde : c’est Demi Moore. Personne, en réalité, ne méprise et n’ignore Demi Moore.
L’on pourrait dire, au moins, que le film dans son troisième acte va jusqu’au bout, avec Margaret Qualley qui en opérant une substance ramène en elle Demi Moore, créant un monstre. Dans ces images de body horror, convoquant La Métamorphose de Kafka, le film saisit un instant, car il paraît davantage exprimer ce qu’il est réellement, être en phase avec ses propres failles, avec ses propres contradictions. Mais la fin, sur la scène, où l’héroïne est prise à partie en tant que freaks, à mi-chemin entre le Carrie de De Palma et le Neon Demon de Winding Refn (avec le vomissement de l’héroïne), révèle plus que jamais à quel point le film est étouffé par ses propres références des années 80. S’il avait été en proie au réel, l’héroïne sur scène n’aurait pas été attaquée pour sa difformité : elle aurait été célébrée, comme dans Sick of Myself. Mais le film ne vit pas, n’existe pas en soi : il est un copier/coller de films du passé. Il est une illusion figée, condamné à être aussi dépassé dans son propos que les références qu’il a pillées. Il n’est pas un corps qui vit au présent, il est un monstre, littéralement, une copie fausse d’un ancien monde. D’où l’intérêt profond de la créature survenant à la fin – car c’est la première fois que l’on voit réellement la posture, l’honnêteté, de Fargeat. Dommage, parce qu’autrement, il faudra reconnaître à cette dernière une énergie et un courage dans la mise en scène – mais peut-être ferait-elle mieux de travailler avec un scénariste pour dépasser ses inspirations qui la contraignent pour l’instant à créer des objets dont le fond est empaillé. 1,5/5.
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