Sick of Myself, génial petit film norvégien sur la société victimaire, et décidément les scandinaves, après Ruben Östlund, aiment bien les satires froides et cyniques sur les turpitudes du contemporain. Mais ici, et c’est pour cela que le film fonctionne, l’on n’est jamais dans le jugement, la théorie, la démonstration intellectuelle : on est dans l’intériorité d’une femme, dont on emprunte la folie sans jamais la juger ou s’en distancer. Au contraire, même : on en jouit et on en rit. Chapeau d’ailleurs à l’actrice, à la fois jolie et un peu bizarre, énervante et touchante, qui sans prétention incarne le film et lui permet de ne pas être juste une critique ou une blague mais lui confère une âme. Surtout, ce que l’on adorera avec Sick of Myself, c’est sa façon de développer son récit sans que l’on sache jamais où il se rende exactement. De ce chien dément faisant interruption dans le restaurant de l’héroïne, à cette confrontation avec un autre chien qu’elle tente de rendre fou pour qu’il la morde, en passant par les installations d’art de son petit ami à la découverte de ce médicament russe : c’est drôle et génial, parce que cela se déroule autant de manière entropique, folle, que néanmoins avec une vraie maîtrise du sujet. En somme, la narration éclate, mais l’allégorie elle reste en place.

La deuxième partie du film, néanmoins, est peut-être un poil moins bonne que la première : Sick of Myself devient à ce stade un peu plus dramatique, un peu plus sérieux, et en réalité l’on se demandera si le metteur en scène avait vraiment besoin de passer par cette gravitas pour faire passer son message. Il le faisait déjà parfaitement en étant hilarant. Mais quoi qu’il en soit, dans ces dernières minutes, le film rayonne, et l’actrice avec lui, malgré ses multiples bandages puis prothèses. Car où Sick of Myself dépasse le cadre de la simple critique de la société victimaire, c’est quand tout le monde finit par abandonner l’héroïne en réalisant qu’elle a menti et qu’elle a volontairement subi cette « métamorphose ». En pleurant, elle finit par avouer que, justement : c’est précisément parce qu’elle voulait être une victime qu’elle est une victime. Elle a conscience de l’anormalité de son désir ; elle a conscience que c’est là, sa vraie déformation. Mais cela ne concerne plus les gens, si prompts à s’émouvoir du sort hasardeux de l’apparence, et si prompts à abandonner l’autre quand il s’agit d’une réelle déchirure de l’intériorité. Sick of Myself dit alors quelque chose de précieux : ce ne sont pas les victimes aujourd’hui que l’on célèbre. Ce sont les apparences qui nous conviennent. 3,25/5.

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