Shame, dans lequel on a l’impression de ne jamais faire que survoler les thèmes, de demeurer à l’extérieur de la chose, un peu comme si, sous couvert d’ambiguïté et de finesse, le film ne parvenait jamais à pénétrer la potentialité de son sujet. Brandon, le personnage de Fassbender, est addict au sexe, d’accord, mais il est addict de manières qui sont très différentes les unes des autres, et Steve McQueen les mélange de manière trop pratique, au point de ne jamais vraiment en explorer une jusqu’au bout. D’abord, il y a le porno, et l’on aurait pu se limiter uniquement à cela tant c’était un sujet intéressant, ne serait-ce que visuellement. Ici, il n’est que sous-entendu. Puis il y a le rapport aux escorts. Là encore, comment le héros les trouve-t-il, comment est-il tombé dans ce milieu : peu de réponses. Il y a ensuite les femmes qu’il aborde, dans la rue, en soirées, le côté pick-up artist. Mais tout cela paraît très distant les uns des autres, tissant une personnalité contradictoire, pas forcément incohérente, mais qui aurait dû être justifiée et approfondie. Ajouté à cela les interventions pas toujours guère utiles de Carey Mullignan, sœur de Brandon, et la durée assez réduite du film (tout juste 1h40), et on a le sentiment avec Shame de voir une grande bande-annonce, la prémisse d’une série, en somme une idée de film, moins qu’un film. Après, Shame reste ponctué de superbes moments, et l’on sera touché par les douleurs du héros, incapable de gérer un simple rendez-vous amoureux, ou de bander pour une fille qui lui plaît ; l’on sera touché par la grandiloquence dramatique du film, qu’autrefois l’on avait trouvée forcée, et qui en fait rend le film parfois grand, notamment lors des échanges de regard dans le métro, moments terriblement triviaux, et qui ici paraissent d’une importance, d’une douleur, d’une terreur capitale – et évidemment, cela incarne le sujet du film. L’absence d’axe. La capacité d’être attiré par n’importe qui. De tomber dans la grande bouche du flux permanent. La ville comme jungle, comme jungle de corps, comme jungle d’un désir jamais assouvi. D’ailleurs, le film a de la chance d’avoir Michael Fassbender dans ses rangs, si bon qu’il transfigure les errances du film. Fassbender est l’axe de Shame : il est ce qui lui permet d’être vrai et fort. La fin, notamment, quand il fait l’amour à deux escorts, est effroyable : voir grandir sur son visage la jouissance, synonyme pour lui de dégoût et de haine, est superbe. Le mâle, ici, en tant que concept, en tant que matériel de souffrance éternel du désir, est capturé. Fassbender n’est alors plus le représentant d’une déviance, d’une anormalité, il n’est plus un cas particulier. Il devient le général. La douleur de l’homme en tant que tel. Qui souffre de jouir. Et qui jouit de souffrir. C’est alors sans doute le meilleur moment de Shame, et celui où le film parvient à demeurer une réussite. Mais l’on restera tout de même sur notre faim. En y repensant, le problème de Shame, c’est de s’éparpiller, et pourtant, paradoxalement, de rester monocorde. N’aurait-il pas été plus profond, plus dialectique, d’initialement emprunter le point de vue de Fassbender, en embrassant la jouissance ? N’aurait-il pas été intéressant que McQueen, initialement, filme le corps de la femme avec concupiscence (ce qu’il ne fait jamais, enfoncé dans son concept de la douleur) pour, nous aussi, nous faire bander et nous faire désirer, avant, dans la seconde partie, de renverser le film sur lui-même et de nous en dégoûter ? Il fallait à Shame plus d’intuitions et moins de concepts ; il lui fallait se concentrer sur un sujet plus précis, pour ensuite avoir le temps et la liberté de le renverser sur lui-même. 2,75/5.
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