Red Rocket, le nouveau film de Sean Baker, qui après Starlet, Tangerine et le moins réussi The Florida Project, confirme décidément tout le bien que l’on pense de lui. C’est même ici, sans doute, son meilleur film jusqu’à présent, car il ose plonger dans un récit plus développé, plus ambitieux, sans pour autant se perdre dans un perfectionnisme esthétique qui plombait quelque peu The Florida Project. Surtout, Simon Rex est génial et permet à tant d’éléments qui auraient pu paraître banals, sans intérêt, de toujours nous concerner et nous saisir. L’on adorera l’idée de cet ancien acteur porno, revenant chez lui, et tentant, fauché, en vélo, de se refaire, allant et venant entre tous ces non-lieux, entre ces grands bâtiments isolés les uns des autres, où l’on vend des donuts, et ces gigantesques panneaux en hommage à Trump au beau milieu du désert. On retrouve, ici, un humour à la Jody Hill et Eastbound & Down, mais évidemment plus fin, plus mesuré, en somme plus réaliste. Beaucoup, d’ailleurs, reprocheront à Baker d’avoir perdu son humanité, ou son amour plus généralement des laissés-pour-compte, car il est vrai que son ton ici est plus sarcastique, plus corrosif, mais comment ne pas voir néanmoins qu’il demeure un incroyable portraitiste ? L’on adorera cette dramatique escort girl, que Rex manipule atrocement, ainsi que sa mère, qui malgré sa haine pour ce mari lâche, compte sur lui pour sortir sa fille de la prostitution. L’on adorera aussi cette incroyable vendeuse de donuts, superbe actrice au ton parfait, Lolita jamais innocente, toujours sûre d’elle-même (incroyable moment que celui où elle révèle à Rex qu’elle sait qu’il est un acteur porno, avant qu’ils ne descendent un looping de grand huit), l’on adorera, surtout, sa maison rose, et ce moment où elle joue du piano pour lui. Jamais, les personnages ne sont déresponsabilisés ou moralisés : ils sont toujours vrais et étranges, et même si Rex est absolument atroce avec chacun d’entre eux, souvent malgré tout on aime ce dernier.
L’on devrait pourtant désirer qu’il échoue : qu’il ne puisse pas récupérer son argent, qu’il ne puisse pas partir à Los Angeles, qu’il ne puisse pas faire de la Lolita une actrice porno, condamnée à ensuite devenir une camée comme son ex. Mais, et c’est là la beauté du film, on est embarqué par les rêves de Rex, parce que lui-même est embarqué par eux. C’est sa beauté, sa tragédie : il n’est pas un manipulateur. Il est son propre sorcier. Il est un enfant. Il est comme les meilleurs dragueurs, et comme sans doute les meilleurs acteurs porno : face à une femme, il s’ensorcelle lui-même, il se convainc lui-même qu’elle est la bonne. Rex devient une allégorie de l’art du récit et du cinéma. Il met en scène, constamment, tout, et l’on veut croire, avec lui, que les deux vivront une histoire d’amour à Los Angeles. On sait que c’est faux. Et pourtant l’on y croit. Jusqu’à cette scène, où dépourvu d’argent, dépourvu de ses artifices, dépourvu de ses fringues, il se doit de courir nu dans la nuit, face à lui-même, juste avec sa grosse bite. Parvenu à la maison rose de la lolita, c’est alors la seule et dernière chose qu’il parvient à mettre en scène. Une ultime scène de cul, rappelant les fantasmes de Kevin Spacey, dans American Beauty, sur Mena Suvari.
L’on regrettera presque cet ultime revirement. Comme si Baker avait tenu à faire payer à Rex ses crimes, avec l’intervention de la famille des dealers. N’aurait-ce pas été plus beau, plus pervers, plus radical, de le laisser justement partir à Los Angeles avec Strawberry ? N’aurait-ce pas été plus adulte, plus responsable, que de nous laisser seul, spectateur, face à cette histoire dégueulasse à tant d’égards et à laquelle pourtant on croit ? Bref, que Sean Baker continue à faire du cinéma. Et si possible avec Simon Rex, acteur injustement oublié et qui ici trouve le rôle de sa vie. 2,25/5.
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