Poor Things, une espèce d’Odyssée à la Tim Burton, avec cet onirisme poseur dont fait régulièrement preuve Lanthimos : mais, un peu comme Miyazaki avec Le Voyage de Chihiro, les rêves de Lanthimos gagnent quand ils s’échappent des lieux fermés et des réflexions censément intellectuelles pour embrasser la structure pure du rêve, à savoir le voyage, l’océan, et le déploiement sans fin de l’imagination. En cela, Poor Things nous a plu : on aura aimé les acteurs (tous, que ce soit Emma Stone, Mark Ruffalo ou Willem Dafoe), et l’histoire de cette Frankenstein au féminin, créature sans âge, forme de récit d’apprentissage sexuel, à la fois originale et pourtant simple, à la fois féministe et, pendant un bon bout de temps, au-delà de l’idéologie simpliste. Un bon bout de temps, oui – parce que durant le troisième acte, cela se corse.

D’abord avec le personnage de Mark Ruffalo, dont on avait aimé la bouffonnerie, la goujaterie, compensées par son obsession amoureuse pour le personnage d’Emma Stone et ses exploits sexuels. Sauf que, plus le film se développe, et plus Lanthimos tient à transformer ce personnage jusqu’alors ambigu en cliché définitif, se plaisant continuellement à l’humilier, à ne faire de lui qu’un pauvre petit homme complexé et possessif. Juste avec ce personnage, Lanthimos n’avait pas besoin d’autant surligner son propos. Mais le pire vient quand arrive le véritable mari d’Emma Stone (celui de son ancienne vie, qu’elle avait oubliée), joué par Christopher Abbot. Cela ne suffisait pas que Ruffalo devienne une incarnation grotesque du patriarcat : il fallait en plus qu’un second personnage masculin, encore plus caricatural, vienne faire doublon, pour que les deux s’allient. À ce stade, tout cet onirisme pur, qui semblait avoir dépassé Lanthimos pour l’emporter, comme dans un rêve, à travers une narration libre, s’évapore, pour nous laisser coincé face à la vision abusive et limitée du metteur en scène, venu nous faire la leçon (il est d’ailleurs paradoxalement là, le véritable patriarcat : dans cette leçon bourrine et surjouée, si forcée qu’elle n’est plus crédible, sur les défauts du mâle). On sort de tout cela épuisé et franchement déçu – parce qu’autrement, durant au moins une heure et demi, on avait franchement bien aimé ce Poor Things. 2,25/5.

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