Love, que j’ai trouvé vide – mais peut-être justement est-ce le sujet. C’est le Tree of Life de la bite, le Tree of Tree. Le plus ennuyeux, c’est que vite l’on s’habitue aux scènes de sexe et qu’elles ne créent plus rien, le film ne parvenant jamais à se réinventer pour nous ressaisir esthétiquement (à part lors de la scène dans le club échangiste). Mais ce qui plaît dans le film, sa contradiction : c’est son désir, d’abord, d’orchestrer un Ulysse du sexe, un trajet héroïque où le sexe fait figure d’Absolu, où la femme aimée est disparue et celle que l’on étreint incarne l’espèce (blonde, pro-life et mère). Le film distingue alors subtilement l’Amour de la Nature, évite l’écueil de s’y soumettre et de devenir complice de celle-ci dans un mouvement lâche, contraire à la définition même de l’art (ce dont Boyhood par exemple était tout à fait coupable, si révérend, si respectueux, du temps). Mais une fois posée cette base, Love ne s’en tient pas à cette dichotomie conceptuelle et fait aussi de la femme aimée une figure charnelle, « qui veut sept enfants » malgré la pulsion de mort qu’elle représente à travers la drogue ; de la même façon, l’amour, que l’on pourrait penser au départ seulement douloureux dans son absence, se révèle terrible dans sa présence, avec ces longues scènes de souffrance où ce jeune coupable réalise qu’ils sont peut-être, après tout, des êtres non pas uniques mais tout à fait médiocres et banals, au sein d’un univers gris (elle ne sera jamais peintre ; il ne sera jamais metteur en scène…). L’amour n’apparaît que comme un philtre par défaut, une perte lasse des destins.
Le film, donc, est contradictoire au point de sembler vide, mais quoi qu’il en soit il saisit par ses ambiguïtés et la force esthétique de certaines scènes (la rencontre aux Buttes-Chaumont, la dispute à l’arrière d’un taxi qui rappelle sensiblement Irréversible, la spirale infernale dans le club échangiste). Dans le même temps, il ennuie aussi à force de ne rien dire, de ne parler que d’êtres de chair, certes représentés dans « leur larme, leur sang et leur sperme » mais dans décidément rien d’autre ; les scènes de sexe s’enchaînent et n’évoquent plus rien ; on est attristé, par ce spectacle des limites humaines. Tout cela est d’autant plus problématique que Noé, clairement, vise autre chose : il vise l’amour absolu. Or son couple n’a aucun intérêt, et, preuve de sa faillite ultime, ne paraît jamais être incarné ; l’on ne ressent aucune sympathie, aucun amour, pour eux (et Diable, encore moins du désir). En bref le sang, le sperme et l’amour ne suffisent pas. Pas pour l’amour. Et l’on se demande si, ici, Noé rate donc son film ou au contraire réussit la démonstration de l’échec de son postulat (l’amour représenté uniquement dans la matière) ; on se le demande d’autant plus que, comme d’habitude chez lui, le film traite précisément de la perte et de l’échec.
Surtout que le choc des premières minutes laissaient espérer quelque chose de grand, tant elles nous frappent de cette évidence ignorée – visée suprême pour tout artiste – à savoir cette représentation cinématographique et affectueuse du sexe. Le premier plan, fixe, général, sans rien d’exceptionnel (si ce n’est, contrairement au porno, des mouvements lents et un jeu d’ombre), est néanmoins si singulier que l’on pouvait croire que Noé avait trouvé un terrain inexploré. Mais cette idée de l’amour, qui tout de suite jaillit dans l’évidence de sa rareté habituelle, ne sera plus jamais aussi notable que dans cette première scène. Immédiatement, il s’éteint, comme neutralisé par l’image, comme Orphée se retournant vers Eurydice. Comme si le film juxtaposait le propre échec de sa tentative sur l’impossibilité de l’amour. L’amour que, forcément, l’on ne peut que perdre. Enfin, Love est problématique (les guillemets placés autour du titre, lors du générique final, illustrent d’ailleurs bien cela), mais en aucun cas bête ou gorgé de dialogues gonflés à la sensiblerie – que tant de critiques aient estimé cela montre assez clairement qu’ils n’y ont rien compris. 2/5.
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