Le citoyen, aujourd’hui, s’avérait diffuseur de lui-même. Mais les transmissions personnelles s’écoulaient en pure perte ; les vies se diffusaient avec frustration, séparées, découpées les unes des autres. Pire, l’on pouvait même assez tragiquement estimer que le contenu des expressions narratives et customisées sur les réseaux sociaux et les sites vidéo ne faisait que souligner un peu plus, à travers ces masses de souvenirs enregistrés, fragmentés, formatés, sur les partitions de disques durs peuplant le monde par milliards, à quel point précisément tous ces souvenirs seraient vains et perdus ; la perte, plus qu’à toute autre période de l’histoire du monde, de façon en fait effroyablement inédite, était intégralement représentée, totalement visible dans son abîme dément. Les vies et leurs représentations se dissipaient, dans la marge ignorée des médias obstinés qui continuaient, eux, à parler au peuple d’un récit global, d’une histoire binaire et recyclée, entièrement désertée par les hommes, plus personne n’écoutant l’autre, plus personne ne croyant en l’autre, tous les deux parfaitement aussi vains.

De cette crise était né le roi. De cette crise était né son grand feuilleton, qui promit à ces vies cristallisées sur les réseaux, à cette solitude pourrissante, à cette absence cruelle de destin, la possibilité non pas d’être entendues – car quiconque, aujourd’hui, pouvait être entendu – mais d’être imbriquées et intriquées entre elles. Le feuilleton fit ce pari de former une histoire à travers la vie intime des hommes ; il se présenta, en quelque sorte, comme un pacte social de représentation.

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