Les Parapluies de Cherbourg, décidément très fidèle à son titre, puisqu’il y a des parapluies, il y a Cherbourg, il y a Catherine Deneuve, il y a des couleurs vives, et surtout il y a cette musique perpétuelle, sur laquelle les acteurs pourtant ne chantent jamais. Ils se contentent simplement de fredonner leurs répliques, et c’est le grand intérêt de l’approche de la comédie musicale de Jacques Demy : c’est que la musique n’est pas là pour transcender la vie, elle est là au contraire pour révéler la platitude sans rime de ces répliques, qui apparaissent en contraste avec ce qui est d’habitude des hymnes et des chants, terriblement plats. Et c’est autant le cas dans les détails, minute après minute, que dans la structure plus générale du film. Car Les Parapluies de Cherbourg raconte à la fois une histoire terriblement banale et un récit structuré comme un mythe à la Joseph Campbell (les trois actes étant Le Départ, l’Absence et Le Retour, soit donc absolument ceux, par exemple, de Star Wars). Et cela créé une mélancolie perpétuelle, une profondeur réelle, puisque le film ne se veut ni grand ni petit, mais une rencontre mélancolique entre les deux. La fin, d’ailleurs, est un regret incertain, puisque le héros, Guy, n’a certes pas pu épouser la femme qu’il aimait (Geneviève, aka Catherine Deneuve), mais a néanmoins fondé une famille et surtout réalisé son rêve d’avoir sa propre station à essence… Un bon rêve d’ailleurs des années 50, qui apparaît à double tranchant : est-ce réellement la réalisation du rêve du prolétaire, qui malgré son abandon par la bourgeoisie a su s’accomplir, ou est-ce au contraire l’allégorie du rêve toxique, de l’hybris pollueur, qui s’exprime par dépit de n’avoir su trouver l’amour ? Dans les deux cas, ça marche, et c’est la force des films libres et intemporels, aux structures mythologiques : les années passent, mais l’on peut y projeter les conclusions de différentes époques. D’où la beauté tendre de cette dernière réplique, où s’exprime toute l’ambition du film. Car quand Geneviève demande à Guy s’il va bien, il lui répond Oui, très bien, sur ce ton toujours faux, toujours fredonnant, comme s’il avait avalé, en lui, sa propre musique intérieure, et qu’il ne rejetait là, d’un soupir, que les paroles qu’il aurait aimé réellement chanter. 2,75/5.

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