Les Linceuls, qui démarrait vraiment bien, avec ce Vincent Cassel impeccable en tant qu’alter-ego évident de Cronenberg, les cheveux argentés, l’allure élancée, les vêtements sombres : surtout, le concept du film, son idée de la caméra dans les tombeaux, capturant sa décomposition, est parfaitement introduit, de manière purement intuitive, avec une succession de séquences maîtrisées, à la photographie exquise, et où Cassel, durant un premier date, explique à une femme célibataire son métier, son obsession et l’ombre en lui de sa femme morte. Après la déception de Crimes of the Future, on est alors totalement conquis : c’est beau, intelligent et en même temps rythmé, stimulant.
Sauf que passé le premier acte, passé ce modèle d’introduction où la douleur et la quête de Cassel sont tangibles et passionnantes, la narration grotesque prend le dessus. D’abord, Cronenberg se vautre dans le cliché de la jumelle : on était pourtant prêt à accepter le fait que la femme morte, jouée par Diane Kruger, ait donc une dead ringer à travers laquelle Cronenberg, dans un trouble à la Vertigo, pouvait révéler la douleur de l’absence, son étrangeté faisant, avec ce cadavre filmé et donc cette sœur, que sa femme était pourtant encore plus présente. Mais quand Cassel finit par coucher avec elle, vraiment, on décroche : le film devient vulgaire, dénué de toute finesse, et surtout, l’on se demande de quoi Cronenberg veut réellement parler (à part recycler ses thèmes d’autrefois, exactement comme il l’avait fait avec Crimes of the Future). De tout cela, émerge une pseudo intrigue d’espionnage, une réflexion sur la paranoïa et le complotisme, Cronenberg copiant/collant ici des thèmes qu’il croit pertinents politiquement, pour continuer à dissimuler qu’il est en fait incapable de développer son sujet initial. À ce stade, l’on est confus, déçu, mais de par la beauté de l’acte 1, on espère un resserrement vers la simplicité, un retour vers le thème, pour conclure le film.
Malheureusement, c’est tout le contraire qui survient, et l’on a beau adorer Cronenberg, il faut ici le dire : la dernière demi-heure du film fut, en toute honnêteté, avec le recul qui est aujourd’hui le nôtre, quatre mois après avoir vu le film, parmi les pires minutes de cinéma que l’on ait jamais vues. Il y a, d’abord, ce pur moment de sidération, où le film devient une telle catastrophe que les gens, dans la salle, spontanément, se regardent, confus, désorientés, stupéfaits. C’est lorsque Cassel rencontre son meilleur ami, joué par Guy Pearce, également l’ex-mari de la jumelle de la femme de Cassel : en plus d’être son ami, il est son ancien beau-frère mais aussi son collègue privilégié, puisqu’il a travaillé directement dans le salon de Cassel pour le système des linceuls. Il va donc sans dire qu’il le connaît excellemment bien. Or, quand Pearce demande à Cassel de le retrouver dans la forêt, dans une zone blanche, pour lui confier un secret qu’aucun hackeur ne pourra entendre, il lui montre trois doigts de sa main coupés, expliquant à Cassel que des truands russes l’ont torturé, preuve que la société de Cassel est au bord d’un immense imbroglio géopolitique. Twist néanmoins : quand Cassel rentre chez lui et discute avec la jumelle, celle-ci lui explique que son ex-mari… a toujours eu trois doigts coupés. Depuis l’adolescence. Car il avait fait une mauvaise opération à un cours de technologie. Vincent Cassel, en 30 ans à fréquenter ce type quasiment tous les jours (informaticien qui plus est tapant constamment au clavier), n’avait jamais remarqué qu’il avait trois doigts en moins. On ne sait alors plus quoi penser, si ce n’est qu’il paraît que Cronenberg a écrit la seconde partie de son script avec chatgpt. Cela pourrait être une petite pique facile, absurde de notre part – cela n’est pas le cas. À de nombreux égards, il paraît même évident que Les Linceuls, en une partie non négligeable, a été scénarisé par l’intelligence artificielle. C’est la seule explication possible à de telles absurdités ; c’est la seule explication, aussi, à la succession de dialogues mécaniques, ampoulés, totalement dénués de sens. Durant le troisième acte, plus rien n’est regardable, plus rien n’est entendable, concernant les conflits géopolitiques autour de « GraveTech ». Au point que Les Linceuls se paie le luxe de se refermer sur probablement l’un des pires derniers dialogues de tous les temps : nous serons ensemble à GraveTech Budapest. L’allégorie, le sens, est nul : l’intelligence artificielle a pris le dessus. La seule question restant : que Cronenberg, par faiblesse, par vieillesse, se soit servi de chatgpt, pourquoi pas ? Mais comment un tel auteur a-t-il pu ne pas réaliser que ce qui avait été fait n’avait aucun sens ? Comment se fait-il que personne n’ait pu lui dire ? C’est ce qui est tragique, et au bout du compte presque drôle, dans le troisième acte des Linceuls : c’est que les acteurs eux mêmes paraissent ne rien comprendre à ce qu’ils disent, se regardant entre eux perplexes, stupéfaits, haussant les épaules. Un désastre, uniquement atténué par un premier acte remarquable. 0,75/5.
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