Dans la nuit, au bord du voilier, ils quittèrent le port et délaissèrent la baie. Ils ne savaient pas comment conduire un bateau, ils ne savaient pas où aller, ils n’avaient pas même fait de provisions ; ils ne parlèrent à personne de leur départ. Ludivine, simplement, avait rebranché le smartphone qu’ils avaient trouvé dans la cabine au fil USB pendouillant depuis le tableau de bord. Et, automatiquement, le trajet accompli par le complotiste pour rejoindre le roi se lança une nouvelle fois.

– Où est-ce qu’on va ?, demanda l’enquêteur.

– Je ne sais pas, répondit Ludivine. Le GPS est crypté. Mais on y va.

– Pour combien de temps on en a, tu crois ?

– Des jours. Des semaines. Des mois. Qu’est-ce que ça change ?

Aussi, Ludivine et l’enquêteur passèrent leur première nuit à dormir sur les banquettes de la cabine, en faisant confiance au voilier autonome, qui mécaniquement, au fil des indications du GPS, tendait et détendait les voiles. Leurs corps encore habillés, chacun allongé à une extrémité des baies vitrées, ils dormirent protégés du vent mais comme au clair de lune, sa lumière tombant sur leurs yeux paisibles et fermés. À leur souffle tranquille et régulier, s’entremêlait simplement le craquement étrangement réel de l’intelligence artificielle, qui remontait les manivelles ou inclinait, immergés dans l’eau, ce safran et cette quille que les deux passagers ne soupçonnaient même pas. Plus exactement, cette nuit-là, une transition se fit – et si Ludivine et l’enquêteur pensaient encore, à ce stade, être les auteurs de leur vie, ce nouveau mouvement devait prouver que cela ne serait plus jamais le cas. Car ils s’extrayaient chacun de leur propre histoire individuelle pour en pénétrer une autre : ils s’enfonçaient dans un pur océan de liberté, pour rejoindre un monde à l’intérieur du monde où les règles s’estompaient et le rêve se faisait total.

Le lendemain, quand l’enquêteur et Ludivine se réveillèrent, la ville au téléphérique avait disparu et la terre ne constituait plus qu’un trait abstrait. Le vent s’était calmé et, par conséquent, le voilier hybride, à la fois à voile et à moteur, avait replié les voiles et allumé le moteur, filant sur la mer tandis que nos deux héros allaient de la proue à la poupe, en observant, sous ce joli temps, la barre à roue en train de se tourner automatiquement. Au-dessus d’eux, contre le soleil éblouissant, passaient régulièrement parmi les mouettes toutes sortes de drones, et les voyageurs en profitèrent pour effectuer plusieurs commandes de nourritures, au cas où la connexion, à l’avenir, devait un jour cesser. Mais elle ne devait jamais cesser.

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