Les points bleus et rouges jaillissent puis s’éteignent régulièrement, comme par vagues successives sur les dunes et versants de mon cerveau qui refrène, semblables aux êtres luminescents d’une baie magique s’éclairant en réaction au mouvement. Le long des sillons primaires, de la scissure de Sylvius ou de Rolando, entre les gyrus et les sulcus, entre les gonflements et les crevasses, l’émotion et la peur colorent tant mon esprit que les espaces simplement blancs deviennent minoritaires.

« C’est une forme d’orgasme, mais un orgasme sans décharge, maintenu en équilibre », m’a expliqué Roland Miramond, particulièrement satisfait de notre travail entamé depuis maintenant sept mois. Parti d’une simple analyse de réactions lors de notre première séance, son équipe, surprise par mes résultats forts en « images refoulées », avait souhaité entamer avec moi une étude à long terme pour mieux exercer leur véritable spécialité : la personnalisation de l’objet filmique. C’était là la vraie visée de Roland Miramond : non pas de réduire les compétences du neurocinéma humain et bienveillant au cadre de la projection-test et du banal neuromarketing, mais d’établir la compagnie comme un acteur artistique à part entière. De servir d’authentiques monteurs et de prendre une grande partie de la post-production en charge ; de faire en sorte d’éveiller le plus de sentiments positifs chez le spectateur en aidant à concevoir l’œuvre en amont, au lieu de simplement venir s’y intégrer en aval.

« Les histoires émotionnelles activent l’empathie et donc l’ocytocine – l’ocytocine, tu vois, c’est une hormone de base pour tout ce qui est vouloir-vivre ; elle est là, en gros, pour s’assurer qu’on ait envie de se lier. C’est elle, principalement, qui dicte nos choix en tant que neurocinéastes, tu vois ; c’est elle, que nous cherchons à stimuler le plus possible en fonction de l’organisation des contenus. C’est notre Graal, ce qu’on cherche à éveiller en toutes circonstances ; le soir, tu vois, quand on rentre chez nous, quand je suis sur ma bécane et que j’écoute ma musique, si je sais pas que dans la journée j’ai eu une augmentation significative de l’ocytocine chez les consommateurs, bah, j’ai les boules et je me sens pas bien dans mes baskets : tu comprends, je suis très humain, je marche à l’affectif, et si les autres sont pas heureux, bah je suis pas heureux. L’ocytocine des autres, le bleu dans leur tête, c’est ça qui me fait me lever le matin, tu vois mon bon Magnus. »

Or, lors de mes premières séances, le taux d’ocytocine générée par les scènes émotionnelles s’était avéré chez moi anormalement bas – d’où l’excitation des scientifiques au vu de mon profil, encore inédit dans leur répertoire, ainsi que le dégoût de Roland Miramond, néanmoins accompagné d’une pitié mêlée de sympathie, qui sans le dissimuler me posa la main sur l’épaule et soupira : « eh ben ça alors. Dis donc mon pauvre, tu dois pas rigoler tous les jours ».

C’est donc une fois par semaine, entre mes heures de contemplation dans la salle des archives, que j’ai visionné moult versions de divers films, à l’importance variable, de bien différents budgets – et si le rouge, pour la plupart généré par une grande stimulation de l’amygdale, source de peur et de dégoût, s’est peu évaporé, je dois avouer que l’ocytocine s’est progressivement développée. « Et qui dit ocytocine, dit une meilleure diffusion de la dopamine ou de la sérotonine – et elles, mon bon Magnus, elles favorisent le plaisir ! Le risque ! L’envie d’entreprendre ! Alors, tu te sens pas mieux, quand même ? Ah, c’est qu’elles sont bien les histoires, quand elles savent te prendre par là où il faut et qu’elles te donnent envie de vivre ! Pas vrai ? »

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