Le Grand Bain, la fameuse comédie de Gilles Lellouche, pas dénuée de défauts, entre les inspirations un peu trop marquées à la sensibilité américaine de Step Brothers (avec la typo identique et la présence de Jon Brion à la bande originale pour rejouer son travail sur le film d’Adam McKay). Mais autrement, franchement : le film est bon. D’abord, dans la mise en scène, tout force le respect, notamment parce que Lellouche non seulement essaie de créer du cinéma, que ce soit dans l’idée des séquences ou dans l’image, mais surtout parce que contrairement à ce qu’il allait faire plus tard dans L’Amour Ouf, il ne force pas : il demeure plus sage, plus au service de son film, de sa sensibilité, et l’on reconnaît moins les défauts de son ambition parfois un peu clipesque. Et puis, ce n’est pas rien : Le Grand Bain est un film choral, et entre Amalric, Canet, Anglade, Efira, Poelvoorde ou Philippe Katerine, ce n’était pas facile, autant narrativement que formellement, de parvenir à ce que tout coule et s’entremêle, et c’est probablement là la plus grande force du film : que ses réussites ne se voient pas et paraissent simples. D’ailleurs, curieusement, de ce casting disparate, ce sont les deux acteurs que l’on attendait le moins, les moins exubérants, les plus sur la retenue, qui ici brillent, à savoir Canet (touchant, de par sa normalité un peu pathétique, de par sa façon de subir les insultes rabaissantes de sa mère atteinte d’Alzheimer) et surtout Anglade, très beau en père musicien raté, qui voit non pas sa fille le réconforter mais lui jeter la vérité dure à la figure (à savoir, en fait qu’il ne vaut rien). Jusqu’à une séquence de fin, où ils se prennent dans les bras, franchement déchirante. À côté, il est vrai que Katerine et surtout Poelvoorde intéressent moins. Mais même Almaric saisit parfois, étrange personnage principal, pourtant le plus silencieux, le moins intéressant à de nombreux égards, si ce n’est dans son beau couple avec Marina Fois (et c’est drôle aussi, la façon dont il finit par se battre avec son beau-frère, dans une conclusion moins bête et prévisible qu’en apparence).
Là encore, on devra reconnaître à Lellouche une vraie intelligence pour avoir pris le parti de situer Amalric au centre de son récit. L’on notera d’ailleurs dans son travail l’influence assez évidente du Sens de la Fête, où Lellouche avait œuvré en tant qu’acteur, et sorti presqu’un an et demi plus tôt. On retrouve la même caricature du personnage indien mutique (et le dédoublement de l’idée est un peu facile et, honnêtement, un poil raciste). On retrouve aussi la même idée de la conclusion, à la fois poétique et ridicule, où l’on laisse aux spectateurs le soin de juger en toute liberté. À savoir que dans Le Sens de la Fête, le mari offrait à la mariée un étrange spectacle, dansant dans le ciel, entre le beau et le risible. Ici, dans Le Grand Bain, la performance de danse aquatique, est à mi-chemin entre le kitsch (avec les effets de lumière et Physical d’Olivia Newton John) et la réussite pure (avec les corps parvenant réellement à s’entendre et à effectuer des acrobaties impressionnantes). C’est d’ailleurs le plus admirable dans le film : comment même si les personnages sont de piètres nageurs synchronisés, le fait qu’ils soient réels et qu’ils essaient d’être bons, permet de transformer au cours du récit la moquerie en affection, et donc d’alimenter une ambiguïté libre, toujours au-dessus de la comédie bouffonne imposée. Bref : l’on reprochera simplement peut-être à ce Grand Bain, passé cette conclusion, d’ensuite trop s’étaler en longueur. Il aurait pu, en cela, se finir cinq minutes plus tôt. Mais autrement, Gilles Lellouche, en plus d’être un bon acteur, fait un bon film. Et, surtout, malgré son manque de personnalité esthétique le poussant parfois à trop s’inspirer des autres et à forcer le trait, il a faim de cinéma. Vraiment. 2,5/5.
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