Kinds of Kindness, qui souffre probablement de sa trop grande richesse, un peu comme un écrivain ne réalisant pas que, pour bien écrire, il ne s’agit pas d’enchaîner les plus belles phrases possibles, mais de créer un rythme fluide vers une beauté plus générale. Or ici, dès le premier acte de Kinds of Kindness, soit donc dès sa première partie (car c’est un triptyque composé de trois récits distincts), l’on est stupéfait par cette histoire originale, captivante, portée par cette beauté des idées à la fois évidentes et fortes (un peu comme le récent Dream Scenario de Kristoffer Borgli). L’on a ici un homme, Jesse Plemons, qui suit les ordres d’un maître, Willem Dafoe, chargé de lui dire quoi dire et faire dans sa vie, avec cette réflexion hégélienne du maître et de l’esclave, et du soulagement ontologique à vivre sa vie en s’imposant soi-même une direction (ce fut difficile, pour moi, de ne pas penser au roi de L’Empire et l’Absence, et son pacte social de narration). Tout dans cette partie est passionnant, au point qu’elle aurait potentiellement mérité d’être un film à part entière.

Et c’est un peu là que le bât va blesser, pour Kinds of Kindness. C’est que la deuxième partie stimule à peu près tout autant, avec cette étrange situation, entre un homme veuf, qui aime se remémorer sa femme avec ses amis jusqu’à vouloir visionner avec eux les sextapes échangistes qu’ils faisaient ensemble autrefois. Comme souvent Lanthimos a ce don de l’étrangeté pourtant pas pittoresque, car profondément liée à une forme de vérité enfouie (et vraiment, l’on ne pensait pas dire de cela de Lanthimos au début de sa carrière, mais c’est ce qu’il a su accomplir en ses derniers films). Quand donc la femme de Plemons, censément morte, revient d’une île où elle avait en fait survécu, on est de plus en plus stupéfait par la fertilité onirique, presque sans fin, du tout, car c’est bien ce à quoi Kinds of Kindess ressemble : une nuit de rêves. De trois rêves, de trois cycles de nuit, s’entremêlant les uns aux autres. Et alors que pourtant le récit continue d’être fort, avec cette femme révélant qu’elle n’est en fait plus la personne que connaissait son mari, l’on finit par décrocher. Parce que le film souffre d’être trop riche, trop plein, et le cerveau peine à appréhender, à trouver un plaisir cognitif, à absorber ces trois récits qui, collés les uns aux autres, défient les lois de la dramaturgie. Si bien que, arrivé à la troisième partie, l’on a abandonné. Non pas nécessairement parce que ce segment était moins bon (centré sur deux membres d’un culte, chargé de retrouver, comme des Panchen-lamas, l’élue qui permettra de ressusciter les morts), mais parce que l’atmosphère, le principe de rêve dans le rêve, devient trop submergeant, trop fort, pour que l’on demeure encore véritablement présent. Mais décidément, Lanthimos est meilleur à chaque tentative, et quelle performance que d’accomplir un tel film, pour ce qui semblait être une œuvre transitionnelle, réalisée uniquement un an après Poor Things. L’homme est dans la forme créative de sa vie : tout pulse de lui, oui, comme dans un rêve. 2,75/5.

Comments are closed

Commentaires récents

Aucun commentaire à afficher.