Joker 2, qu’au vu des critiques assassines qu’il avait reçues, nous avions vraiment envie d’aimer. Pourtant, non : le film est un naufrage sidérant. Au point non seulement que l’on a voulu quitter la salle (cela faisait longtemps qu’un spectacle ne nous était pas paru aussi irregardable) mais qu’on a fini, les jours suivants, par beaucoup penser au film et par éprouver une véritable peine pour lui. Parce que c’est le problème : Joker 2 avait clairement de bonnes intentions. Il ne s’est pas contenté de reproduire la formule, de donner aux gens ce qu’ils voulaient, de s’abaisser aux attentes. Il vibre d’originalité et de noirceur : il a une âme. Et pourtant, alors qu’il avait tout, il est une catastrophe intégrale.
Sa première erreur, évidente, c’est qu’il ne raconte rien : chacun de ses personnages figés, enfermés, il ne fait que répéter ce qui s’était déroulé dans le premier film, revenant sans fin sur des événements qui n’avaient, honnêtement, pas si grande importance. Il est enlisé dans son propre souvenir, comme bloqué dans le purgatoire de la mort du premier film : il ne va pas de l’avant. Il n’existe pas. En cela, il est évident que le film aurait dû commencer lorsqu’il finit : au moment du procès, où une bombe explose et où le Joker redevient libre. C’est le premier passage réellement narratif du film, et il survient au bout d’une heure et demi. Mais le pire c’est que Todd Philips sait probablement cela : car dès cette évasion du Joker, alors que l’on attendait qu’il puisse enfin entamer un mouvement avec Harley Quinn et démarrer un film avec elle, cette dernière le largue. Et il se fait rattraper par la police. Et il revient en prison. Comme si tout cela n’avait servi à rien. Comme si tout ce que voulait effectuer, tout ce que voulait prouver Philips, avec ce Joker 2, c’est l’inanité de toute chose : l’inanité du cinéma hollywoodien, l’inanité du concept de suite, l’inanité de son premier film, l’inanité de son propre talent. C’est, indubitablement, l’un des films les plus nihilistes et dépressifs que l’on ait jamais vu (et en cela, la santé mentale de Philips réellement inquiète). Tarantino l’a défendu, en clamant que Philips accomplit un geste anarchique, que la structure du film était à l’image du Joker, mais il se trompe objectivement, et pour deux raisons. D’abord parce que 1) un bon concept ne fait pas un bon film, et c’est souvent là que les critiques et théoriciens tombent dans le reflet masturbatoire de leurs propres interprétations, car ici, rien ne s’incarne à l’écran et parce que 2) le Joker est anarchique, certes, mais il n’est pas un nihiliste passif : il est un nihiliste actif, et ici rien dans l’énergie du film ne ressemble à celle du Joker. Rien. Le Joker brûle de rire et de furie. Il ne s’enlise pas dans les pleurs et dans la mort.
Plus encore : certains diront de ce Joker 2 que c’est une histoire d’amour. Ce n’en est pas une. Parce que pour faire une histoire d’amour, il faut d’abord une histoire. Il faut un mouvement. Une narration. Une altérité. Il n’y en a ici aucune : Harley Quinn apparaît en tant que fantasme, sans extériorité. On ne sait rien de son passé, rien de ce qu’elle est en-dehors de l’asile, à chaque fois elle est vue à travers le regard de Joaquin Phoenix. Elle émerge dans son intériorité. Elle n’est pas amour ou libération ou altérité : elle est redoublement de son enfermement schizophrénique. A de nombreux égards, elle fait doublon avec la structure carcérale du film. Elle est un reflet dans un reflet, une prison dans une prison. Elle n’existe pas. Elle n’est pas un personnage. Tout simplement. Et pour conclure, puisque c’est une comédie musicale : toutes les musiques, tous les numéros, sont littéralement nuls à chier.
Bref, au nom du fait que le film a néanmoins une belle photographie et que Joaquin Phoenix, amaigri, est touchant, il mériterait sans doute 0,5/5. Mais parce que le film dans sa dépression et sa tristesse nous a travaillé, les nuits suivant son visionnage, on a envie au moins de récompenser sa tentative nihiliste en lui accordant une vraie note marquante : un zéro intégral. Car c’est ce que Todd Philips, inconsciemment ou pas, visait. Donc, oui : 0/5.
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