Dream Scenario, le nouveau film de Kristoffer Borgli, le réalisateur du génial Sick of Myself, et qui ici reprend exactement le même sujet (la quête de la célébrité), la même structure (ou comment l’on devient célèbre pour rien, et comment l’on est cancel pour rien), tout en signant pourtant un tout autre film. Avec Dream Scenario, Borgli donc s’impose comme un véritable auteur, un homme capable d’imposer sa vision, de la renouveler, de la reprendre, tout en la décuplant. À la place d’une jeune femme norvégienne, on a ici un vieux prof américain, joué par Nicolas Cage (très bien, étonnamment même assez sobre). Et d’abord, il faut le dire : l’idée de départ est brillante, quasiment de celle dont l’on peut être jaloux. Un homme, sans qu’il le veuille, sans qu’il ne sache pourquoi, se retrouve à hanter les rêves des gens du monde entier. Et sans jamais, pourtant, qu’il n’influence les rêves : il ne fait que les contempler avec le rêveur. Passant, immobile. Et partant de ce postulat extraordinaire, Borgli opère exactement comme avec Sick of Myself : il développe son récit sans que l’on ne sache jamais où est-ce que l’on va, comme si l’on tombait dans un rêve sans fin.

À propos de son premier film, l’on écrivait que la narration explosait dans le chaos, mais que l’allégorie elle demeurait nette, et que là germait à la fois le rire et la réussite du film. Ici Dream Scenario paraît incarner ce décalage dans son histoire même : dans ces rêves, qui évoluent d’une manière claire, linéaire, chez tous les personnages, sans pour autant que dans la réalité, l’on ne comprenne ce que cela signifie. Ainsi Cage, plongé dans cette spirale absurde de la célébrité, va commettre ce que l’on pourrait qualifier d’impair : il va être tenté par l’idée de tromper sa femme. Cela se déroule dans une scène où une jeune publicitaire le pousse à rejouer le rêve érotique qu’elle a eu avec lui : le tout est à la fois hilarant et troublant, porté par une vraie ambiance Lynchienne, Lynchienne pas dans la pose mais dans la chair, notamment à travers ce plan où la femme pointe le mur où elle a vu Nicolas Cage se cacher dans son fantasme. La façon dont Borgli filme ce mur, alors vide, est typiquement propre à Lynch, non dans ce que l’on essaie souvent de reproduire de lui mais dans les émotions qu’il est propre à créer en nous. À savoir représenter l’écho d’un endroit quand nous ne sommes pas là, comme si en somme un film n’était pas juste un film, mais un rêve, une matière onirique se développant outre les limites de sa narration quand on ne le regarde pas. Borgli a compris l’art de Lynch et il s’en empare parfaitement. Or suite à cette trahison de Cage vis-à-vis de sa femme, les rêves se retournent contre lui. Il n’est plus un sympathique passant ; il est un agresseur, un violeur, un tueur. L’allégorie bien sûr est simple, et c’est celle de la célébrité comme reflet. L’on devient ce que l’autre projette en nous. Mais la fable est brutale, passionnante, drôle, stimulante, brillamment menée, en plus de constituer pour Borgli une énorme progression dans la mise en scène (en plus de Lynch, l’on pensera aussi beaucoup à Lars Von Trier pour cette façon de représenter la cruauté absurde de la foule). Bref, Borgli est le futur. 3,25/5.

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