Les pieds de l’enquêteur glissèrent dans le tunnel. À l’intérieur, la tête en bas, il réalisa que deux embranchements s’offraient à lui, ou plus exactement deux plissures, dans ce tunnel mou fait de pâte noire et gluante. Il hésita, puis, après un temps d’arrêt, prit la voie de gauche – et en avançant le corps en diagonale, toujours la tête vers le bas, il perçait cette forme qui n’avait jamais été percée, ou plutôt qui avait été percée il y a bien longtemps, ces deux chemins conservés dans une espèce de pâte primordiale à mémoire de forme.

« Où es-tu ? », pensa l’enquêteur, les lèvres fermées pour éviter que la pâte ne rentre, mais la question si intensément posée que son esprit paraissait s’être muni de lèvres intérieures. « Où es-tu ? ». Des deux mains, il continuait d’écarter cette fente indiquant la coupe à suivre, en cet océan mousseux et plastique. À présent, la pâte laissait passer les rayons d’une lumière lointaine, dans les tréfonds, semblable aux lueurs se mouvant derrière les paupières.

Je ne reviendrai que si je la retrouve, fit la voix. Et je ne la retrouverai que si tu t’enfonces en moi. En toi, j’ai mis ma maladie. Cette maladie est ton destin. Cette maladie te conduira à moi.

L’enquêteur devait maintenant user de toutes ses forces pour se frayer un chemin dans cette crème devenue rose et compacte. La voix, elle, s’avérait de plus en plus cristalline, elle remontait d’un monde secondaire de plus en plus proche. Mais celui-ci nécessitait un retournement des cinq sens pour être pleinement éprouvé. Après la bouche intérieure… les oreilles intérieures de l’enquêteur finissaient de naître. Elles poussaient dans le ventre de l’Absence, où l’enquêteur renaissait en tant qu’être de la nuit.

Ta maladie fait mon bonheur, reprit la voix. Ta maladie est mon amour. Tu l’as en toi. Tu ne la connais pas. Tu ne l’as jamais rencontrée. Mais tu l’aimes. Ton corps n’est pas celui que tu crois. Il existe au fond de toi un tunnel, une porte que tu n’as jamais vue, que personne n’a jamais vue, et qui prolonge tes jambes, et ton ventre, et tes yeux, jusqu’aux miens. Il existe un tunnel entre nos corps. Il existe un tunnel entre toi et moi. Et c’est elle.

L’enquêteur parut atteindre un autre stade. Et il y vit ses yeux. Mais pas même au loin, devant ou derrière lui, non, partout : il était dans ses yeux, ou plus exactement dans sa possibilité, dans sa racine, dans une multiplication à l’infini de ses iris gris. Il était à l’intérieur de l’idée de la reine. Et c’est ainsi que commença la métamorphose.

Pourquoi cette partie du monde ?, se demanda l’enquêteur, en perçant la membrane blanche de l’amour. Pourquoi ce battement, pourquoi cet espoir, pourquoi ce pont de peau, pourquoi cette forme d’étrangeté ?

Dans la crème blanche, ses cheveux tombèrent. D’abord, il ne s’en rendit pas compte. En se frottant le visage, en sentant son nez s’allonger, il se demanda : pourquoi suis-je là ? Pourquoi moi ? Spontanément, il secoua la tête : cela le démangeait, de manière purement instinctive, comme l’adolescent pressent pour la première fois la vie tressaillir dans son bas-ventre, et de son crâne, de nouveaux cheveux sortirent par à-coups, cuivrés, roux. Les uns après les autres, ils se déployaient pareils à de l’argile, s’éructant sous la pression d’une machine en fine lamelles. En fait, ce jaillissement irrésistible de cheveux par l’épiderme créait en lui un plaisir effrayant, du haut du crâne jusqu’au bas du cou… Et cela ne s’arrêtait pas, car si chaque cheveu émergeait d’une seule salve, s’il faisait palpiter ses pores de par une excrétion longue de deux ou trois secondes, la chevelure elle-même ne sortait pas toute en même temps, les cheveux éjaculés environ par trentaine, à tel point que les explosions se succédaient.

Dans le ventre de l’absence, aux tréfonds de l’idée de la reine, imprégné, englouti, par son patrimoine génétique, l’enquêteur vit ses mains changer et rapetisser. Il sentit une forme se détacher de lui, à travers un halo jaunâtre : l’enquêteur devenait la reine. Pour le roi. Aux frontières de l’empire, il fallait posséder cet amour de l’intérieur. Là figurait l’ultime pas à franchir, qu’aucun individu auparavant ne s’était risqué à commettre : traverser l’absence et devenir l’autre. Plonger à jamais dans son reflet pour être libre.

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