Blonde, le dernier film d’Andrew Dominik, qui, s’il ne m’a pas autant touché que The Assassination of Jesse James, est immédiatement devenu mon plus gros choc esthétique au cinéma depuis The House that Jack Built (rejoignant, avant eux, Synecdoche, New York, The Master, The Neon Demon, Under the Silver Lake et American Honey). Ce qui est tout à fait phénoménal dans le film, c’est cette idée de renverser le principe de biopic sur lui-même pour plonger dans son trou noir – car qui dit où et commence le principe de biopic ? Qui dit où est-ce que commence et se termine la vie d’une icône ? Ici, on s’aventure dans la vie privée du symbole, on s’enfonce dans la nuit intime de la blonde, et à partir de là, lentement, à travers le prisme du cinéma, à travers le prisme de l’imaginaire, cette même blonde nous renvoie sa propre nature fantasmagorique. À savoir que si le monde a fait d’elle un imaginaire, eh bien c’est dans cet imaginaire qu’elle va nous plonger.

Rapidement, on comprend que tout sera possible : ici, on est chez David Lynch, on est dans le mythe de Laura Palmer (puisque c’est devenu un mythe), et plus encore, on est dans Mulholland Drive, car celui-ci était né d’un biopic que Lynch, précisément, voulait faire sur Marilyn Monroe. Avec Blonde, on tombe dans le trou noir de l’âme de quelqu’un, et le film, sans pour autant se désolidariser de la réalité ou de sa nature politique, la transcende : l’ennemi du film, indubitablement, est le mâle. La masculinité en tant que telle. Mais l’on n’est pas dans la morale, l’on n’est pas dans le portrait accusatoire : l’on est dans l’intemporel, dans l’ontologique, dans la tragédie inéluctable. Le mâle n’est pas filmé comme un être : il est filmé comme une nuit. Comme un cobra, dans le noir. Rarement l’on avait aussi bien capturé la foule en tant que désir ; rarement l’on avait aussi bien représenté la femme, en tant que centre d’immanence et de lumière, se faire happer par les forces brûlantes du sexe tout autour d’elle (la séquence sur la bouche du métro est incroyable, peut-être la plus belle du film).

En cela, que le film ait suscité le questionnement de critiques féministes est parfait, puisque l’on comprend bien là que le problème n’est pas idéologique, il ne s’agit pas de savoir comment une œuvre doit traiter de la femme (ici, Monroe est une héroïne lynchienne de pureté et de grâce), il s’agit de savoir si une œuvre doit faire passer la morale avant l’art ou pas. C’est ce qui a dérangé une part de la critique : non pas ce que Blonde dit, mais ce que Blonde fait. Et ce qu’il fait, c’est qu’il filme la masculinité en tant que phénomène pure, aussi pure que la femme : il en fait un principe insondable et maléfique. Blonde fait de l’art à partir du mal.

Au-delà de ça, l’on garde en tête les bruits de ce téléphone bébé, de ces pleurs intégrés aux sonneries, et l’on garde en tête cette fellation du président, du pénis tout en haut des pénis, comme le sommet des milliards de pénis humains, qui pénètre le premier trou, comme un ultime rapport, révélé dans sa laideur la plus infinie. Souvent, l’on se dit que c’est exactement ce que Lynch aurait fait s’il avait eu l’occasion de le faire. Et pourtant, c’est si brillant, que l’on se dit aussi que c’est seulement ce que Dominik aurait pu faire. Et comme d’habitude avec lui, sa collaboration avec Nick Cave et Warren Ellis fait des étincelles. On a là, sans doute, l’une des plus belles bandes originales depuis longtemps. Elle aussi, on va la réécouter. 4/5.

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