Batman v Superman : Dawn of Justice, qui s’est avéré loin d’être la daube décrite par le public et la critique, surtout comparé aux dernières productions Marvel ou à l’infâme Man of Steel, avec lesquels on a été bien trop indulgent. Alors certes, le tout est sacrément bancal (on sent le récit déchiré entre son thème principal – l’affrontement entre Batman et Superman – et l’introduction de la Justice League, pour lancer les prochains films de Wonder Woman, Flash ou Aquaman), très simpliste (quel est l’intérêt de nous présenter un Lex Luthor jeune, si c’est pour ne jamais justifier son penchant pour le mal ? Ses mimiques paraissent absurdes et insupportables), et surtout l’histoire concrète du film n’a aucune réelle pertinence. En effet, que se passe-t-il vraiment dans ce Batman v Superman, on ne saurait vraiment le dire. Symbole de ce mépris de tisser un récit construit sur des motivations et des enjeux réels, cette réconciliation entre Batman et Superman, si moquée sur le web (et sur le coup à juste titre), où les deux héros parviennent d’un claquement de doigts à s’entendre parce que leur mère porte le même nom ; aussi, de la même façon que la neutralisation du conflit entre les deux personnages se fait de manière très abstraite, la création même de celui-ci l’est tout autant (en gros : le méchant Lex Luthor fait chier).

Mais, et c’est là où le film nous a plu, c’est là où le film se détache des autres super-productions d’aujourd’hui, c’est que s’il méprise le récit, c’est pour mieux mettre en avant ce qui ne doit, certes, demeurer qu’une sous-couche, mais dont la présence a complètement déserté les films à gros budget d’aujourd’hui, et c’est l’allégorie. Batman v Superman est une réussite complète à ce niveau. Jamais on n’avait si bien imaginé ce que le monde réel ferait de l’arrivée de Superman sur ses terres, jamais, on avait conceptualisé sa nature divine, son rapport à Dieu et à Jésus ; ainsi, les statues qui sont construites en son honneur, la façon dont le peuple se prosterne face à sa présence, tout cela fait mouche. Il y a une vraie réflexion sur la place du super-héros dans le monde contemporain, sur son rapport au mythe et à la figure christique. Ensuite, et c’est là où le film prend vie, trouve de la consistance, c’est qu’il ne se contente pas d’exposer cette approche théorique de Superman, c’est qu’il l’utilise pour justifier son conflit. La présence de Batman, alors, prend tout son sens.

Ainsi, si l’on regrettera que l’opposition narrative des deux héros reste très banale, écrite à la va vite (en somme, Batman et Superman ne s’opposent qu’à cause d’un malentendu, qu’à cause d’un stratagème de Lex Luthor) –, on restera concerné de bout en bout par leur rivalité parce qu’elle est allégoriquement valide. Car pourquoi, vraiment, Batman déteste-il Superman ? Parce que Bruce Wayne est un homme au destin tragique, qui ne croit pas au sens de la vie, un matérialiste, un scientifique, qui a vu dans la perte de ses parents le signe que Dieu n’existait pas – et lorsque Superman arrive, c’est Dieu qui arrive. Et donc, logiquement, Batman, qui a toujours trouvé son essence dans sa haine de la perte et de l’injustice, veut en découdre avec Dieu. En ce sens, la scène où Batman dit concrètement à Superman « je suis sûr que tu as toujours cru que tu étais spécial, que tu avais un destin, que la vie avait un sens, mais moi, ce que la vie m’a appris, c’est que mes parents sont morts dans un caniveau quand j’étais enfant » est forte : on ressent concrètement dans notre cœur l’opposition philosophique entre les deux personnages ; elle est vivante, intemporelle, on peut parfaitement s’y identifier.

Mieux, le conflit est d’autant plus efficace que l’on peut très bien comprendre les justifications pures de Superman. Car la force du personnage, de tout temps, c’est qu’il a toujours été une allégorie de l’étranger, de l’immigré. L’homme qui vient d’un autre monde, qui se sent seul, incompris, pas sa à place : l’homme, qui la nuit s’envole dans l’espace, se détache du monde, et doute d’être jamais aimé : c’est là où le personnage est beau. Cela était totalement méprisé par Man of Steel : le personnage n’était alors plus qu’une enveloppe vide. Mais Batman v Superman corrige brillamment le tir, dès la première séquence, en prolongeant l’allégorie de l’étranger de Superman à travers, et de façon assez osée, une parabole du 11 septembre. De ce fait, à travers les yeux humains de Batman, l’on redécouvre ce qui servait de troisième acte à Man of Steel : la déconstruction complète de Métropolis. Dans le film précédent, mon Dieu, que cela était laid : cela durait une heure, ressemblait à du Dragon Ball Z, succession d’effets numérique à n’en plus finir, tandis que Superman se battait avec son ennemi kryptonien sans s’intéresser aux conséquences de ses actes, de la même façon que le film commettait le crime de ne pas s’intéresser à la réalité de son récit, imbitable, uniquement virtuel. Tout de suite, Batman v Superman s’élève au-dessus de cette séquence ratée du film précédent, justifiant presque son échec, questionnant son manque de réalité et de présence physique, et la recontextualise du point de vue de Bruce Wayne, dépassé et paniqué par l’événement. Alors, on aborde immédiatement ce qui va servir de nœud au personnage de Bruce Wayne : il n’est qu’un homme qui voit arriver Dieu. Et Batman va haïr Dieu, parce qu’il hait la vie. Après, les facilités narratives du film, les trop nombreux personnages à introduire pour les prochains films (même si l’on sent que Zack Snyder est contraint de le faire, et vu le cahier des charges, il ne s’en tire pas si mal), et ce troisième acte interminable (le combat contre Doomsday), alors que le film aurait vraiment pu s’arrêter à la réconciliation entre Batman et Superman, plombe le film et en font un objet monstre, branlant, vraiment trop long. Mais le cœur est là, et c’est déjà ça. 2/5.

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