The Neon Demon, chef d’œuvre visuel dont je n’attendais rien et que je suis heureux d’avoir pu voir sur grand écran. Et par chef d’œuvre visuel, je n’entends pas ces films qui nous soufflent de par leur esthétique lors des vingt premières minutes, puis à laquelle progressivement on s’habitue ; non, je parle d’un chef d’œuvre visuel qui nous secoue à peu près perpétuellement. Débarrassé de cette pose vintage mêlée de sensiblerie romantique qui empestait dans l’atroce Drive, Nicolas Winding Refn continue ce qu’il avait entamé avec Only God Forgives, à savoir un traitement fou de la forme au point que ce ne soit plus qu’à travers celle-ci que vienne apparaître le fond. The Neon Demon est donc un film de Winding Refn sur Winding Refn ; un film sur les apparences et sur la vacuité, un film qui filme la mode en faisant de la mode, qui se dénonce lui-même, qui se met en abîme et se vomit dans une spirale esthétique dingue ; Winding Refn, alors, au bout d’une filmographie passablement indigente, finit enfin par dire quelque chose, et comme n’importe quel artiste qui parvient à devenir auteur, le fait en admettant ce qu’il ne sait pas faire, en entremêlant ses carences acceptées au cœur de ses qualités (c’est un peu, pour ces raisons, son Inception). Et comment en effet ne pas voir dans l’affichage de son nom, au début du film, résumé singulièrement à ses initiales – N.W.R. – stylisées en rose comme s’il s’agissait d’un créateur de mode, une réduction de sa qualité de metteur en scène à cet esthétisme de la mode qu’il va récuser, un aveu, et ce dès les toutes premières secondes, de sa nature d’esthète vain ? Comme si maintenant qu’il avait accepté l’insignifiance et la posture habituelle de son propos, il allait pouvoir ouvertement parler de tout ce qu’il est et tout ce qu’il n’est pas, trouvant par là-même son véritable sujet en tant qu’auteur : le piège du vide derrière la beauté de l’image.
Que dire d’autre si ce n’est que cela faisait depuis très longtemps que l’on n’avait pas vu une actrice filmée avec autant d’amour et de fascination qu’Elle Fanning (et voilà un point où, enfin, l’élève Winding Refn se montre à la hauteur de son maître évident Lynch), et qu’on est fasciné par cette idée, simplement effleurée, du démon qui jaillit dans notre propre reflet, de sa silhouette miroitée qui à travers un défilé se fait rougeoyante ? C’est là que gît toute la force de The Neon Demon : mélanger le mythe au moderne, filmer tout à travers l’allégorie, la fête comme une succession de gros plans lumineux où l’on regarde avec fascination ce qui n’apparaît jamais, représentation purement abstraite, où le défilé devient une rencontre avec le Diable, où Los Angeles et la mystique ne font plus qu’un (en cela, on pense aussi au Phantom of the Paradise de Brian De Palma) ; et l’on est d’autant plus fasciné que ce mythe du démon ne s’incarne même pas vraiment, signe de la maturité de Winding Refn qui ne s’amuse pas cyniquement à représenter la plongée de son héroïne dans l’ultra-violence ; non, celle-ci reste pure et vierge, au point littéralement de se faire manger. Et depuis quand une scène aussi dingue, aussi glaçante, aussi dense en intuitions sensibles, que ce modèle, assis contre un mur aux lignes de fuite bleu turquoise, finissant par vomir, sur une moquette toute aussi turquoise… un œil. Le genre de séquence si forte qu’elle a ancré dans mes souvenirs ma propre posture, penché sur mon siège vers l’écran, complètement abasourdi. Du pur cinéma que j’ai immédiatement eu envie de revoir le film une fois celui-ci terminé. Que, plus exactement, j’ai eu envie de demeurer à l’intérieur de son univers et, en somme, d’y vivre.
Ajout au 31/07/16 : Il y a en fait dans The Neon Demon, la capture réelle du mal radical, ce que j’écrivais déjà à propos de Lynch, qui ne simule pas le Mal à travers divers possibles artifices mais le convoque dans les traits du visage horrifié et possédé de ses acteurs – par exemple Laura Dern dans INLAND EMPIRE. Le mal radical, dans The Neon Demon, est d’autant plus fort qu’il est omniprésent, il est vibrant dans sa propre matière ; Winding Refn ne fait pas qu’un film sur le mal, il fait du mal avec du mal, l’image même en est constituée : l’esthétisme diabolique et maléfique. The Neon Demon est autant le mal qu’il ne le filme. C’est en étant fasciné par son propre vide que le film parvient à parler du vide et en cela embrasse sa véritable nature maléfique. 4,5/5.
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