The White Lotus saison 3, dont le ton plus sombre, plus mystique, plus directement lié à la mort, avait de quoi nous plaire et faire de cette saison notre préférée, et lors des premiers épisodes, c’est en effet ce que nous avons cru, tant le générique nous ravissait à chaque revisionnage, toujours plus fort et profond, avec ces créatures finissant par se venger des hommes et par les dévorer. Sauf que cela s’essouffle pour plusieurs raisons, jusqu’à s’effondrer lors du dernier épisode, le pire de la série. D’abord, comme la saison 2, la série essaie peu de renouveler ses archétypes : ce sont, comme d’habitude, des occidentaux riches et hypocrites, obsédés par l’argent et le sexe, et qui se répartissent en groupe d’amis (ici le trio de copines, dont Michelle Monaghan et Carrie Coon), en cellule familiale (Jason Isaacs et Parker Posey, avec leur fils masculiniste joué par le rigolo Patrick Schwarzenegger, fils d’Arnold) ou encore en couple (Walton Goggins et la révélation de la série, l’excellente Aimee Lou Wood). Et le problème, c’est qu’hormis comme d’habitude le talent d’écrivain de Mike White qui fait mouche en de nombreuses séquences (l’on a apprécié la dynamique du trio d’amies, de la trumpiste mariée à l’actrice privilégiée, ainsi que les scènes très drôles entre Aimee Lou Wood, repoussant les avances de Schwarzenegger et le confrontant au vide de son âme), eh bien rien ne s’additionne pour créer une sensation de beauté et d’inéluctabilité. Dans la saison deux, c’était Jennifer Coolidge qui parvenait, dans la seconde partie de saison, à unifier le tout et à apporter un centre, un cœur, autour duquel le reste tournait, et c’était elle qui dissimulait qu’autrement la saison n’avait pas grand-chose à dire de plus que la précédente. Ici rien de tel, malgré le retour de certains personnages, comme Belinda la masseuse de la saison 1, ou Greg, l’ex-mari et assassin de Jennifer Coolidge. Indubitablement leur retour est positif : le conflit de Belinda, qui abandonne son projet avec le thaïlandais et accepte l’argent sale, est intense et aurait pu servir de bonne conclusion à la série. De la même façon, le personnage de Greg est plus fascinant que jamais : il y a quelque chose d’hypnotique à retrouver cet homme, là à chaque saison, et dont on ne sait rien. La série pourtant est terriblement intime, elle ne fait que dénuder chaque personnage pour révéler leurs failles. On sait tout d’eux. Sauf, précisément, quand il s’agit du seul homme continuellement là, espèce de silhouette allégorique, onirique.
Mais cela ne suffit pas à sauver la saison. D’abord, le personnage de Jason Issacs contribue à provoquer l’ennui : jamais The White Lotus n’avait compté autant d’épisodes dans une saison, et jamais son histoire n’avait semblé aussi peu en mériter. Jason Isaacs, au centre du récit, concluant quasiment chaque épisode, fait du surplace : il contemple le suicide, puis le meurtre de sa femme, puis de son fils, sans bouger de sa villa, et autant l’idée de ce personnage perdant tout, au milieu de nulle part, à travers un îlot d’illusions préservées, était belle, autant l’on aurait préféré qu’elle soit exploitée davantage dans la folie. Qu’Isaacs bouge, sorte de chez lui, traverse la nuit thaïlandaise, se transforme… ou à défaut de ne pas le faire, alors qu’on ne le voit pas autant. Mais cela est encore secondaire compte tenu de la catastrophe intégrale du dernier épisode, où l’on ne reconnaît plus rien de la finesse habituelle de Mike White. Comme si le scénariste paraissait angoissé par la pression, par l’importance prise par la série, et tentait de trop en faire, de surjouer l’intensité, et ce faisant, tombait dans l’illusion de la narrativité pornographique. Ainsi, les montages alternés se succèdent, tentant de créer un crescendo parallèle, et tout est risible, entre le fils d’Isaacs mourant empoisonné, la révélation grotesque de l’assassin du père de Walton Goggins (prévisible à des kilomètres : c’était en fait son propre père), Chelsea qui se prend une balle perdue, Goggins qui la porte pour la sauver, la confrontation avec le vigile thaïlandais, désireux de s’imposer pour séduire la fille dont il est tombé amoureux…
Le principe de fresque, où les raisons des uns et des autres entrent en collision, peut être magnifique dans une série : c’est même, potentiellement, profondément, sa raison d’être. Mais cela surgit ici de manière précipitée, dans une série dont le ton, dont l’identité, gît précisément dans le traitement du réel et de ce qu’il a de pathétique et ridicule. La série devient doublement hors-sujet : d’abord vis-à-vis de qui elle est. Et ensuite vis-à-vis du thème de sa saison, puisqu’il s’agissait du bouddhisme, du détachement, du dénudement. Or White est coupable de s’abaisser à l’exact contraire : face à l’angoisse de l’Occident pesant sur lui, sous le poids de cette série devenue un monstre commercial brassant des millions… il tombe dans la croissance de la narrativité. Il devient un pollueur de récits. Il s’effondre dans le divertissement. Et fait, exactement, ce qu’il comptait critiquer. En ce dernier épisode, The White Lotus devient dans sa chair le touriste obsédé qu’il critiquait depuis le début : sa narration prend sa forme. Gros raté… 1,75/5.
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