Emilia Perez, curieux film qui, au-delà de ses qualités, a l’avantage d’être étrange, et en cela, il serait bête de voir en lui la caricature d’un récit progressiste (avec le héros transgenre), car c’est avant tout une œuvre profondément libre. D’ailleurs, plus que le protagoniste joué par Karla Sofía Gascón (dont on a tant parlé suite à la sortie du film), l’on sera surtout surpris par la qualité des performances des deux femmes l’entourant, à savoir Zoé Saldana et Selena Gomez, que l’on avait jamais connues si bonnes : Saldana, par exemple, porte les passages musicaux du film, souvent courts, peu enclins à profiter du concept de refrain, mais toujours brillants (on est loin de la nullité sidérale des morceaux de Joker 2). Quant à Gomez, elle est adorable en petite poupée bouffie et abandonnée, un rôle qui semble avoir été écrit pour elle. Et puis l’histoire, bien qu’elle soit parfois précipitée, un peu trop limpide dans son allégorie et dans sa métaphore (en cela que les vraies belles métaphores doivent toujours contenir une forme de chaos et d’incohérence en elles), fascine de par cet homme, chef d’un cartel, tueur sans foi ni loi, qui pense pouvoir trouver, à travers le changement de sexe, un reversement total de son âme. Avec cette question : peut-on vraiment se transformer ? Et que cherche-t-on vraiment, dans le principe de renversement ? Le film est alors d’autant plus malin qu’il dépasse la notion idéologique, se servant de la conversion pour traiter d’un rapport à l’identité plus profond. Il est de plus foncièrement espiègle dans sa façon de révéler l’hypocrisie, qui peut se trouver dans la fuite en avant vis-à-vis de soi-même (avec le paradoxe de cet homme autrefois tueur, qui en tant que femme aide les familles des gens… qu’il avait lui-même tués). Bref, la seule chose que l’on regrettera dans cet Emila Perez, c’est son récit parfois trop précipité, trop découpé, qui crée un visionnage calibré : cela finit par prendre le dessus lors de la conclusion, avec cet affrontement dans le désert, cette fusillade banale et facile – et l’on est étonné qu’un tel film s’achève avec si peu de flamboyance, comme essoufflé. Passionnant, en tout cas. 2,5/5.

Comments are closed

Commentaires récents

Aucun commentaire à afficher.