Notre héros allongé, l’inspectrice lui retira son t-shirt ; elle posa ses mains sur son ventre légèrement velu et remarqua que nombre de poils lui restaient dans les paumes. Voilà le mystérieux duvet, comprit-elle. Progressivement, la pilosité de l’enquêteur s’effritait et tombait ; elle changeait de couleur et se réduisait. Comme une peau de serpent, son corps faisait sa mue vers un autre que lui. Le physique de l’enquêteur démissionnait, le désertait : il se laissait remplacer. Les os, douloureux, comme à l’enfance, au lieu de se développer, se réduisaient et se contractaient. Ludivine, des deux mains, palpa à nouveau ses seins.
– Qu’est-ce que tu fais ?, lui demanda-t-il.
– Je les masse. Tu dois souffrir…
Elle le pinça. L’enquêteur lui retint la main, en fronçant les yeux.
– Fais-moi confiance, insista-t-elle. Je vérifie qu’il n’y a pas de pus, c’est tout…
Ludivine se pencha contre lui et se mit à lui lécher la poitrine. Sans lâcher le téton de sa bouche, elle caressa son torse et ses bras, dont les poils restaient sur sa main ; elle massait les reliques, les résurgences, de la muse et de l’art, à l’intérieur de son corps.
– Qui suis-je ?, se mit à répéter l’enquêteur. Qui suis-je ?
Ludivine ne répondit pas – mais tous deux savaient que son corps à présent ne lui appartenait plus. « Je ne te dégoûte pas ? », la supplia-t-il.
– Non, fit-elle de la tête. J’aime l’absence en toi.
L’enquêteur, redressé sur ses coudes, l’observait en train de sourire, de rire même, et quand elle s’esclaffait ainsi, les commissures de ses lèvres rejoignaient son grand menton et formaient un seul trait : un peu comme le pantin d’un ventriloque, dont la bouche se découpait jusqu’au cou tel un clapet.
– Laisse-la revenir, reprit-elle. Elle est la clé, enquêteur, que tu dois devenir pour l’ouvrir.
Elle redescendit les mains jusqu’à son pantalon et le mit entièrement nu. Elle écarquilla les yeux. Même au repos, son pénis paraissait très imposant, sans doute parce que contrairement aux cuisses ou au ventre, il ne s’était pas réduit, et qu’au milieu de ce physique devenu imberbe il dénotait de par sa masse de poils, presque hors de propos. Cependant, s’il n’avait pas rétréci, il avait bel et bien pourri, devenu une masse pendouillante, noire, presque similaire à du fumier : jamais la proximité du sexe avec l’anus ne l’avait autant révélé comme une véritable merde, une chiasse stagnante.
– J’ai l’impression qu’elle va tomber, soupira l’enquêteur.
– En effet, répondit Ludivine. C’est noir. Noir comme une verrue morte. À croire qu’à part la peau, y a plus rien qui la retient.
En l’absence de réponse, elle prit le pénis en main, et rapidement, une force s’avéra encore capable de remplir les veines du sexe de l’enquêteur – mais était-ce encore du sang ? Maintenant, le pénis se durcissait sous les caresses répétées de l’inspectrice, et nos deux héros l’observaient, tendre sa pourriture noire et s’effriter.
– Qu’est-ce qui va en sortir, à ton avis ?, fit Ludivine, sans s’arrêter de branler consciencieusement la chose.
– Pas la vie.
– Je ne crois pas non plus. En tout cas mieux vaut l’extraire. Vider ça. Peut-être pour la dernière fois. Ensuite ce sera passé…
Notre héroïne repassa ses cheveux entre ses mains pour se faire une queue de cheval. Après avoir jeté un dernier coup d’œil à ce sexe cadavérique, ici comme un dernier obstacle entre eux, puis avoir adressé à l’enquêteur un sourire d’incrédulité, elle se pencha et inséra prudemment, mais sans même grimacer, le pénis pourri dans sa bouche.
Derrière la silhouette de Ludivine agenouillée sur lui, l’enquêteur pouvait voir pointer au-dessus de grands arbres le sommet de l’église du roi. Qui suis-je ?, continuait-t-il de se demander, au point à présent d’en rire. Putain, qui suis-je ? Car en touchant ses cheveux qui avaient jailli dans le tunnel du roi, étrangement il frissonnait de plaisir. Il repensait comment, la première fois qu’il avait rencontré Ludivine, il avait préféré ne pas utiliser son arme à feu pour laisser intacte la possibilité du meurtre ; comment, finalement, il l’avait laissée vivre, pour tuer quelqu’un de plus fort. Et n’était-ce pas lui-même, qu’ensemble ils devaient tuer ? Pour lui, Ludivine représentait cela, encore aujourd’hui : le rêve d’un idéal retenu. Le rêve d’une plus grande disparition. La sienne.
Au début, malgré la précision de ses gestes, Ludivine lui parut maladroite car il pouvait sentir ses dents. Mais au bout d’un moment, il finit par comprendre qu’elle le faisait exprès. Elle râpait. Et en effet, son pénis semblait constitué de cendres, si gangrené qu’au fil des mouvements effectués par l’inspectrice, elle en retirait sur sa langue et sur ses lèvres des bouts de peaux. Au cours de sa fellation, ce pénis lentement se liquéfiait, exactement comme si Ludivine avait sucé une glace. Une glace, de peaux putrides.
– Tu as l’habitude de faire ça, on dirait…, fit l’enquêteur. Je veux dire, pas sucer des bites… sucer des bites mortes.
– Ferme les yeux, répondit-elle. Il vaut mieux pour toi que tu ne regardes pas.
– Pourquoi ? Attends, qu’est-ce que tu vas…
Ludivine posa son autre main sur son ventre. Pour le rassurer. Ou pour le posséder.
– Une flamme ardente brûle en lui, enquêteur. Le roi. Ne le vois-tu pas ? Ne le sens-tu pas ? Il est inarrêtable. Il est indestructible. Il ne s’arrêtera jamais…
L’enquêteur, d’un sanglot, rebascula en arrière et ferma les yeux. Dans son dos, il pouvait entendre le bruit calme des vagues, qui s’entremêlait avec celui des herbes écrasées sous son crâne, des grillons et des lapements de Ludivine. Et pendant que l’inspectrice s’efforçait de sucer les reliques de sa masculinité hors de cet incompréhensible corps de femme, une voix germa en lui :
Elle est logée en moi, dit-elle.
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