The Edge of Tomorrow, qui m’a étonnamment enchanté : le tout est redoutablement écrit et maîtrise parfaitement les jeux du voyage dans le temps ; les va et vient se succèdent sans sentiment de lassitude, sans perdre de vue la sensation de mouvement et de progression, sans non plus nous faire perdre l’allégorie émotionnelle et le point de vue de son personnage principal. A ce niveau-là, le film reprend non pas l’esthétisme du jeu vidéo – comme tant de blockbusters avant lui – mais sa fibre narrative, l’idée de conquête d’un espace et d’une diégèse. Ainsi, l’image de Tom Cruise établissant une carte de la séquence de la plage, pour établir un mouvement parfait, est autant une redoutable allégorie de ce qu’implique la conquête d’un univers – allégorie émotionnelle donc – qu’une mise en abyme sur le cinéma et, surtout, la condition d’acteur. Car c’est aussi ce qui est beau dans le film : l’idée de retrouver Tom Cruise comme un Tom Cruise qui s’ignore, auquel on peut parfaitement s’identifier, et avec qui on apprend à devenir – ou à redevenir – Tom Cruise ; tout cela avec un aveu assez touchant sur le fait que si Cruise est un héros, ce n’est pas forcément par son talent ou son courage, mais parce qu’il rejoue les scènes et apprend à les maîtriser ; c’est parce qu’il est un acteur. Autre acceptation assez touchante : cette incapacité de vivre dans les temps morts, de devoir courir pour exister ; ainsi, cette scène dans la petite grange abandonnée, où Cruise décide de préparer du café et de passer dix minutes au calme avec Emily Blunt, est interrompue par cette dernière qui souhaite juste « le tuer » pour directement revenir en arrière (on retrouve là une évocation en creux du mythe Tom Cruise, et sa mystérieuse vie intime ; comme si, le temps d’un instant, on évoluait dans les coulisses d’un mythe qui ne peut en fait exister que sur la scène). De la même façon, il est touchant de voir que Cruise ne peut rien répondre à Blunt lorsque, à la toute fin, alors que leur mort est promise, elle lui déclare « qu’elle est sûre qu’il est quelqu’un de bien » mais qu’il ne répond pas… parce que si elle pense cela, c’est uniquement parce qu’il a appris à rejouer correctement les scènes… mais qu’avant ce film, et qu’au-delà de ce film, c’est un lâche.

On s’émouvra donc de cette faiblesse inhérente au film, qui rattrape Cruise lorsqu’il décide d’abandonner Blunt, de simplement quitter le film, de partir boire de la vodka dans un pub… puis que, en sortant au bord de la Tamise, il contemple le monde s’effondrer et les bêtes jaillir de l’eau pour l’attraper – on a ici ce que quasiment tous les récents blockbusters ont échoué à faire ; traiter de l’effondrement d’un monde comme d’une allégorie personnelle. Aussi, voir Cruise, comme dans un cauchemar, voir les eaux de la Tamise se troubler comme son propre doute, et les bêtes en jaillir comme sa propre culpabilité, pour le ramener à cette indépassable quête, est beau. On reprochera parfois au film d’être un peu trop long – même si, de manière ultime, le récit tire de cette longueur et de ces quelques minutes de lassitude un surplus de puissance et un approfondissement probablement nécessaire pour la folie de cet éternel retour. Toutefois, on ne pourra que louer son écriture redoutable, mêlant action et poésie à un rythme parfait, sans jamais oublier d’être drôle.

3/5.

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