The Killer

The Killer, qui démarre bien, avec ce quotidien froid et minutieux d’un tueur à gages ; il ne se passe alors rien, mais justement, c’est ce vide et ce silence qui permettent de créer une ambiance et de laisser entendre une voix. On aime ainsi l’idée de ce tueur international, à la fois chez lui partout et nulle part, qui se confond dans les structures de wework et commande à manger au McDo ; on aime son regard contemplatif, son détachement, sa patience et son désir de réaliser le geste parfait. Malheureusement, rapidement Fincher casse cette maîtrise du tueur pour faire intervenir l’élément disruptif : à savoir qu’il ne s’agit pas d’emprunter le point de vue de Michael Fassbender dans son sempiternel quotidien. Non, il s’agit de créer une narration à partir du moment où, justement, il va cesser d’être le maître de ses missions. Quand, finalement, il rate la cible, et qu’une ...

Dream Scenario

Dream Scenario, le nouveau film de Kristoffer Borgli, le réalisateur du génial Sick of Myself, et qui ici reprend exactement le même sujet (la quête de la célébrité), la même structure (ou comment l’on devient célèbre pour rien, et comment l’on est cancel pour rien), tout en signant pourtant un tout autre film. Avec Dream Scenario, Borgli donc s’impose comme un véritable auteur, un homme capable d’imposer sa vision, de la renouveler, de la reprendre, tout en la décuplant. À la place d’une jeune femme norvégienne, on a ici un vieux prof américain, joué par Nicolas Cage (très bien, étonnamment même assez sobre). Et d’abord, il faut le dire : l’idée de départ est brillante, quasiment de celle dont l’on peut être jaloux. Un homme, sans qu’il le veuille, sans qu’il ne sache pourquoi, se retrouve à hanter les rêves des gens du monde entier. Et sans jamais, pourtant, qu’il n’influence ...

Ferrari

Ferrari, le meilleur Michael Mann depuis vingt ans et Collateral, et bien que cela n’était pas forcément difficile, l’on est touché de voir Mann cesser de rouler des mécaniques et de mimer un cinéma musclé (c’était particulièrement étrange avec Blackhat au vu de son absence de vitalité) pour enfin emprunter le point de vue d’un homme hors du coup. Car c’est l’intérêt de Ferrari (et pas de pénétrer l’intériorité d’un pilote de formule 1). Ici, l’on n’est ni dans Rush ni dans Ford v Ferrari (que Michael Mann aurait parfaitement pu réaliser dans les années 90 ou 2000), l’on n’est même pas dans un film de duel, comme Mann aime si bien les faire. On est avec un homme qui a passé l’âge de courir, qui a passé l’âge de faire, et qui a passé l’âge même de s’opposer. En cela, toutes les séquences où Adam Driver détaille sa façon ...

Oppenheimer

Oppenheimer, déception cataclysmique tant le film avait tout pour nous plaire. D’un côté, la bombe atomique, et tout ce qu’on a lu à son sujet, entre la philosophie de Günther Anders et la théorie de la honte prométhéenne (ou quand l’homme créé une technologie qui le détache de l’humanité), et les textes ésotériques de Aleister Crowley et de Jack Parsons (avec l’idée voulant que la bombe atomique peut trouer l’espace-temps et ouvrir l’accès à un autre monde…). De l’autre, Christopher Nolan, réalisateur tout indiqué pour exploiter ce terrain à mi-chemin entre la matière, l’obsession et la transcendance, lui qui a toujours tenu à filmer le rêve, le voyage spatial ou le voyage temporel en nous les représentant à travers l’action physique opérée par le corps de l’homme (dans Inception, on fabriquait le rêve ; dans Interstellar, on fabriquait le trou noir ; dans Tenet, on fabriquait le retour dans le temps, au ...

Yannick

Yannick, un Dupieux assez inhabituel, très différent par exemple du précédent, Fumer Fait Tousser, en cela qu’ici Dupieux s’en tient à un genre et à un lieu, à une histoire et un thème, livrant sans doute son film le plus commercial et le plus accessible... et on regrettera d’ailleurs qu’il n’ait pas été vendu de manière plus claire lors de de sa sortie. L’idée en tout cas est géniale et simple : c’est une prise en otage du cinéma français, de manière littérale, avec ce personnage, coincé face à cette pièce de boulevard parisienne insupportable à la Laurent Ruquier, qui interrompt le tout pour prendre le contrôle sur la narration. Et difficile de ne pas voir, dans le personnage joué par Quenard, Dupieux lui-même, car si la forme du film paraît assez éloigné du style habituel du réalisateur, le fond lui paraît n’avoir jamais été aussi en phase avec sa sensibilité ...

Challengers

Challengers, triangle amoureux dans le monde du tennis, boosté par la mise en scène de Luca Guadagnino et la bande son de Trent Reznor et d’Atticus Ross, mais qui au bout du compte paraît faire beaucoup d’efforts, mettre en branle beaucoup d’idées narratives, pour peu de choses. Car derrière ce scénario découpé de manière outrageusement complexe, avec des va-et-vient continuels entre passé et présent, que dit-on réellement ? Quasiment rien, et les personnages, que ce soit les deux hommes ou Zendaya, sont tous aussi vides les uns que les autres. Ce n’est pourtant, en soi, pas forcément une limite à la qualité du film : parce que le contexte du tennis, parce que l’idée banale mais efficace de l’outsider prêt à prendre sa revanche, parce qu’aussi l’ambiguïté homosexuelle permanente entre les deux adversaires, rend le tout stimulant. Mais on a parfois l’impression que Guadagnino, motivé par sa nouvelle réputation depuis le succès ...

Joker 2

Joker 2, qu’au vu des critiques assassines qu’il avait reçues, nous avions vraiment envie d’aimer. Pourtant, non : le film est un naufrage sidérant. Au point non seulement que l’on a voulu quitter la salle (cela faisait longtemps qu’un spectacle ne nous était pas paru aussi irregardable) mais qu’on a fini, les jours suivants, par beaucoup penser au film et par éprouver une véritable peine pour lui. Parce que c’est le problème : Joker 2 avait clairement de bonnes intentions. Il ne s’est pas contenté de reproduire la formule, de donner aux gens ce qu’ils voulaient, de s’abaisser aux attentes. Il vibre d’originalité et de noirceur : il a une âme. Et pourtant, alors qu’il avait tout, il est une catastrophe intégrale. Sa première erreur, évidente, c’est qu’il ne raconte rien : chacun de ses personnages figés, enfermés, il ne fait que répéter ce qui s’était déroulé dans le premier film, revenant sans fin ...

The Apprentice

The Apprentice, biopic assez cheap, parfois même resserré et étriqué, ce qui n’est pas si mal quand il s’agit de parler de Trump et de sa démesure vulgaire, puisque le film ne réalise pas ce qu’il critique. En cela, la charge sur Trump est fine, parce qu’elle est maniée de façon à ne jamais tomber dans une structure manichéenne de victime. Car 1) le film ose emprunter le point de vue de Trump. Il ne demeure pas à distance, il ne le juge pas avec la froideur d’un pisse-froid, non, il entre dans sa vie et ose l’embrasser (typiquement ce que le lâche et vide de pulsion Napoleon échouait à faire). Et 2) tous les gens auxquels Trump fait du mal, qu’il écrase ou oublie durant son ascension spectaculaire, eh bien ils sont généralement aussi dégueulasses, voire pires, que lui. L’on pense, bien sûr, au personnage de l’avocat Ray Cohn ...

Ripley (série)

Ripley, que j’ai absolument adoré, du début à la fin, et qui m’a presque réconcilié avec le principe de mini-série, avec cette idée de courte saison cherchant la perfection et trahissant le concept de narration sérielle. Sauf que là, Ripley ne cherche pas seulement la perfection : il l’est. Et non seulement il l’est, mais il lie son concept, sa forme, à son fond, puisque c’est exactement ce dont il s’agit : d’un héros cherchant à peindre le tableau ultime, à disparaître derrière l’illusion, sans laisser la moindre faille, le moindre indice. Ce n’est alors plus de la série, ni même du cinéma, c’est encore autre chose, et on est continuellement sidéré : sidéré de voir à quel point chaque seconde est grande, à quel point chaque plan est beau, du début à la fin (en cela, la conclusion est une démonstration, le parachèvement d’un véritable chef d’œuvre). Andrew Scott, vu dans Sans ...

Nosferatu

Nosferatu, dont la trop grande importance laissée au couple entre Nicholas Hoult et Lily Rose Depp affaiblit la puissance nocturne, même littéraire, du récit. Car ici, l’attraction fatale, hypnotique, entre Nosferatu et sa bien aimée est finalement peu mise en avant : sans doute pour livrer un récit outre le principe de relation toxique, dans un désir de déconstruire Nosferatu pour en faire une variation féministe, le vampire ici n’a rien d’attrayant. Il ne luit pas de la tentation paradoxale du mal : en somme, il ne ressemble pas à Johnny Depp ou Robert Pattinson. Il est petit, vieux, moche, avec un accent roumain et une grosse moustache. Pire, même : quand l’héroïne l’éconduit, il s’excite comme un pathétique bouffon (et va même jusqu’à stipuler que, pour l’étreindre, il a besoin de son consentement). À l’inverse, Nicholas Hoult, lui, est le gentil mâle. Problème : il est banal, chiant comme la pluie (Hoult confirmant ...