Assis contre les falaises, au bout de la nuit, Magnus n’avait toujours pas remis son casque. Je ne veux pas être, se dit-il après un moment. Je ne veux rien faire qui contribue à ma propre personne, rien qui permette la réalisation d’une seule aspiration, rien, avec ou vers quiconque. À vrai dire, même unie à celle que j’aime, celle que j’ai toujours aimée, la vie m’a paru ridicule – je n’ai pas pu m’en empêcher. Jusqu’au bout, jusqu’à la mort, je veux refuser ma possibilité. C’est tout ce que je veux : je ne veux pas faire ma vie, et je ne veux surtout pas la gagner – je veux la perdre, afin qu’encore de mon vivant, elle soit dénouée. Car plus je la céderais, et moins je serai un homme, et moins je serai un homme, et plus mes yeux seront grands, et plus ils seront libres ; libres, d’un espace vierge et sacrifié, pour accueillir l’image la plus profonde. Chaque jour me l’annonce plus clairement : je n’attends pas le succès ni même ne l’espère, car ma vie n’a pas été vécue pour les hommes. Très simplement : je ne veux pas avoir d’histoires avec vous – je veux le néant, que vous ne laissez pas aux histoires. Pas même ce qui est tu ou caché, ce qui est contenu ou faussement préservé, pas même cette perle au fond de l’âme qui se croit singulière – ce que je veux, c’est ce qui en vous n’est pas, ce qui n’est pas là, quand vous êtes là, ce qui est là, quand vous n’y êtes plus. Chaque jour me l’annonce plus clairement : je serai seul, encore et toujours plus qu’autrefois, encore et toujours plus au même endroit – et si cela parfois m’étouffera, si cela déjà m’assomme, force est de constater que ce n’est pas cette promesse de solitude éternelle qui sera en cause : ce n’est pas son état de fait, ce n’est pas sa surface longue, dure, impénétrable, irrémédiable : c’est sa profondeur. C’est que jamais, concrètement, l’on ne stagnera, que toujours, l’omission d’autrui se creusera ; que, outre les mythes et les fresques du repli sur soi vaseux, dans le pur exil s’inscrira un grandiose relief – celui voulant que l’on avance dans l’isolement, que l’on tend à l’abandon, que l’on conquiert la perte. Celui voulant que l’on peut s’éloigner à l’infini des autres. C’est cela, dès maintenant, qui m’étourdit : la profondeur à venir de ma perte du monde. C’est cela, qui me ravit : que cela ne s’arrêtera jamais.

Sur ces pensées, Magnus remit son casque et, dans le noir un instant, sans se concentrer sur un quelconque souvenir, sans invoquer la moindre forme, se vit à nouveau pénétré par l’image de la mer glacée, comme si malgré ses yeux couverts elle parvenait à son regard, ou plutôt comme s’il pouvait même encore mieux la voir – et aussi le jeune homme lança un nouveau signal ; celui, pour cette nuit, qui devait s’avérer le dernier.

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