Autrefois, l’étape suivante pour une femme comme Lo DeLilla était toute tracée. Rémunérée pour sa virtualité sociale, célébrée pour ses vidéos éphémères, employée durant un moment par un soap confus puis, je le voyais présentement sur le plafond, héroïne de ce programme non-écrit où elle attisait l’imprudence de jeunes loups sans trop y faire attention, fut un temps où l’objectif logique, où la consécration attendue, se serait jouée dans les sphères du glamour et de ce que l’on avait fini par nommer, en contraste avec le feuilleton, l’acting. Mais les acteurs, cette race qu’exécrait depuis aussi longtemps que je le connaissais Brandon Marsac, était indubitablement amenée à disparaître. Ces êtres qui jouaient, qui mentaient, qui en somme prétendaient, étaient condamnés dans l’idéologie de la transparence à servir de rebuts, supplantés fort logiquement – et pas si injustement, quoi qu’on en pense – par ce que l’on pouvait appeler les victimes, puisque dans le totalitarisme de l’identité, il allait de soi que l’exposition ostentatoire du statut victimaire devait être célébrée, et faisait donc de ces derniers les grandes stars de notre temps. C’était ainsi, et l’on ne pouvait que difficilement se plaindre de cet avènement, si avec discernement et objectivité l’on réétudiait les figures pseudo-mythologiques de ces acteurs généralement profondément bêtes, incapables de fournir leur propre personnage, leur propre texte, ou plus véritablement leur propre raison de vivre, et qui lâchement se contentaient, comme des pantins inutiles, obsolètes vis-à-vis de la Machine et du numérique, de réciter des phrases. Il était difficile de contredire Brandon Marsac à ce niveau : leur règne, rétrospectivement, avait été absurde.

En comparaison, la victime, elle, venait toute faite (ou ready-made), traversée, déchirée, possédée, par une rage et une souffrance qu’aucune forme de mécanicité ne pouvait mimer. Mieux, dans l’idéologie de l’identité réduite à elle-même, non pas transcendante (aucun mouvement du moi vers un tout intemporel) mais immanente (le moi circonscrit à sa présence concrète et mortelle – je suis moi, je suis authentique, je suis humain), être une victime constituait une façon très efficace pour exister. Cependant, parce que cette nouvelle forme d’identité ne s’avérait pas pour autant évolutive à travers l’expérience du réel puisque déjà constituée (je n’ai jamais changé, je suis toujours resté le même, je ne triche pas), une contradiction s’effectuait, bien au-delà de cette simple absence de transcendance qu’il était convenu aujourd’hui de dénoncer. Dans cette nouvelle formulation, certes, l’Homme venait de nulle part (pas de possible unification) mais il allait également nulle part (pas de possible singularisation). Selon le néo-humanisme, l’existence n’était ni une lecture pure de notre âme, ni un développement empirique de notre être, il ne fallait ni lire ce qui était déjà, ni vivre ce qui dépendait de nous, mais vivre ce qui était déjà, s’abandonner au paradoxe de l’immanence idéale, de la matière sans temporalité, du grand Ouroboros cinématique. Il fallait, ça on le savait, profiter de l’instant présent, c’est-à-dire profiter, en nous, de la victime présente. Dans ce monde de l’empirisme passif où le réel se mangeait la queue, l’on pouvait dire que pour exister le plus facilement possible, il était bon de trouver et cultiver la victime en soi. Cet état fixe et singulier.

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