Ripley, que j’ai absolument adoré, du début à la fin, et qui m’a presque réconcilié avec le principe de mini-série, avec cette idée de courte saison cherchant la perfection et trahissant le concept de narration sérielle. Sauf que là, Ripley ne cherche pas seulement la perfection : il l’est. Et non seulement il l’est, mais il lie son concept, sa forme, à son fond, puisque c’est exactement ce dont il s’agit : d’un héros cherchant à peindre le tableau ultime, à disparaître derrière l’illusion, sans laisser la moindre faille, le moindre indice. Ce n’est alors plus de la série, ni même du cinéma, c’est encore autre chose, et on est continuellement sidéré : sidéré de voir à quel point chaque seconde est grande, à quel point chaque plan est beau, du début à la fin (en cela, la conclusion est une démonstration, le parachèvement d’un véritable chef d’œuvre). Andrew Scott, vu dans Sans Jamais Nous Connaître, est ici une révélation : on ne sait exactement ce qui le rend si captivant (sans doute son sourire charnu, contrastant avec son regard fin et sombre), mais il porte la série, qui a l’audace, la puissance, de ne quasiment développer aucun autre personnage que lui, de ne développer aucune intrigue factice : ici, tout est vrai, tout est essentiel, tout est profond.
Parfois, honnêtement, les images sont si belles, l’Italie si magnifiée, les paysages nous offrant un voyage tangible (de Naples à Rome, en passant par Venise et Palerme), que l’on aurait presque envie de se raisonner, de trouver la série si belle, si perpétuelle dans sa beauté (en cela qu’il n’y a pas un seul moment où ça s’arrête, où la démonstration esthétique ne cesse), que l’on aurait envie de lui reprocher d’être aussi soignée, de trouver qu’elle se félicite de sa propre élégance – mais on n’y arrive pas. Parce que l’histoire, en parallèle, et le thème, sont trop parfaitement accordés au tout. Dickie, également, est sublime : Marge aussi. Les personnages secondaires, comme l’enquêteur, la gardienne, ou même le chat Lucio (!!!) sont tout autant inoubliables, et c’est là une démonstration de la part de la série. À savoir qu’on ne construit pas un personnage dans son identité, dans sa personnalité, dans les informations narratives : on le construit dans son mystère. C’est le cas pour Ripley, bien sûr. Mais c’est le cas pour tout le monde. Marge, Dickie, la gardienne, l’enquêteur : ils sont tous aussi mystérieux que le chat de l’escalier. Ils sont tous aussi beaux, réels, insaisissables, ne cherchant jamais à incarner une idée, une information, ou une narration.
L’on sera presque en larmes, parfois, devant Ripley, tant c’est à nos yeux absolument tout ce que l’on aime dans l’art en général. Il est immédiatement entré dans nos monuments. Et on gardera longtemps en tête cet épisode, d’une heure, quasiment uniquement consacré à l’exécution du meurtre de Freddie Miles. Tout est captivant, insondable, ténébreux : l’on se fiche, au bout du compte, de savoir qui est Ripley. Ou de savoir qui est Freddie. Ou de savoir pourquoi quiconque fait quoi que ce soit. Tout ce qui compte, c’est cette nuit, cette interminable nuit, où méticuleusement l’on cherche à cacher dans le noir ce que l’on a fait. En allant et venant, en allant et venant, dans le mystère de Rome. Steven Zaillian, longtemps demeuré scénariste de grands auteurs au cinéma, entre Scorsese et Ridley Scott, avait déjà fait fort quand, libéré de ses chaînes et passé auteur, il avait réalisé The Night Of avec John Turturro. Mais avec Ripley, il livre ici, à 71 ans, son chef d’œuvre. Comme si toute sa carrière, depuis le départ, était censée uniquement mener à ça. 5/5.
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