Sombre, dont les premières minutes nous ont totalement happé, nous emportant à travers une descente le long de routes en lacets, dans une demi-pénombre étrange, où finit de percer un lointain soleil. Puis, à l’image de l’utilisation du son chez Lynch, des cris et un bruit strident jaillissent de manière volontairement désynchronisée, créant non seulement un sursaut mais une incompréhension, ce qui décuple l’inquiétude. L’image alors de ces enfants face à un spectacle, comme stimulés dans leurs mauvais penchants par le narratif, est fort. À savoir que Philippe Grandrieux semble ici, dès son premier film, dire qu’il ne racontera pas d’histoire, qu’il ne fera pas « le guignol », car c’est précisément dans la narration, dans cet espoir d’intrigues, que gît le mal et le désir humain. Ainsi, la visée de Grandrieux est celle-ci : ne pas raconter d’histoire, et plus encore pénétrer ce mal qui nous donne envie d’en pénétrer une. Problème : le reste du film, bien que conceptuellement séduisant, peine souvent à convaincre au niveau intuitif. Cette idée de tueur en série qui tombe amoureux d’une vierge… tout cela paraît un peu gros, et d’autant plus gros que les acteurs ne sont pas assez bons, pas assez profonds, pour réellement habiter le tout et conférer une vie réellement puissante au sujet. Régulièrement, Grandrieux pourtant époustoufle de par certains plans crépusculaires magnifiques, comme lorsque le tueur domine le lac dans la nuit. La séquence, aussi, où la vierge s’échappe et danse en boîte de nuit, puis finit par attirer des hommes dans un piège du tueur, est belle. L’on aimera, alors, comment Grandrieux un instant quitte ces références anglophones pour embrasser ces dragueurs fans de Johnny, qui rabaisseront la virilité du tueur. Mais peu importe : on sent que Grandrieux n’a pas suffisamment de matière, ici, pour boucler un long-métrage. Certes, l’on comprend que c’est le but, que c’est la démarche expérimentale : filmer le ressassement, l’impossibilité d’accéder à l’autre, la répétition du désir. Mais il y a une différence entre justifier une répétition objective par des principes conceptuels, et transfigurer le concept en intuitions, pour faire de cette répétition une beauté happante et décuplante. C’est trop rarement le cas ici. L’on aimera, pourtant, comme le début, la fin. Cette façon, à nouveau, de longer la route, alors que l’on contemple la succession de visages impersonnels des spectateurs du Tour de France, qui observent hébétés ce qui ne passera qu’une fois… On retrouve l’idée des enfants du début du film : la passivité du spectateur, qui initialement, agressait, criait, se retrouvait stimulé de mauvaise manière par le spectacle. Grandrieux confirme sa posture : le cœur de l’œuvre n’est ni dans le début, ni dans le fin, car une œuvre ne doit pas être une histoire allant d’un point A à un point B. Une œuvre n’est pas un spectacle qui passe. Une œuvre est une spirale, un cercle, dont le centre est introuvable, et qui ne se termine et ne commence jamais. 1,5/5.
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