Sans Jamais se Connaître, dont j’ai tout de suite apprécié l’ambiance du film, cette solitude au cube, comme une solitude à l’intérieur de la solitude, avec cet homme seul à l’intérieur de lui (puisque scénariste), seul à l’intérieur de chez lui (puisque célibataire) et seul à l’intérieur de son immeuble (puisque pas encore habité). J’ai ensuite aimé le corps de l’acteur, sa simplicité, ses sourires, et aussi le corps de son voisin, chacun se ressemblant et se reflétant ; j’ai aussi aimé le postulat du film, cette idée de retrouver ses parents, préservés à l’âge où nous étions enfant. Le film est alors à mi-chemin entre le cinéma d’auteur, la réflexion métaphysique et parfois le fantastique, quelque chose assez similaire à The Leftovers de Damon Lindelof et dont évidemment nous nous sentons proche. Le film, sur le premier acte, nous plaisait beaucoup. Nous avions certes quelques réserves, notamment parce qu’il nous rappelait le genre du film schizophrénique, dont nous avons formulé le concept au cours des dernières années, et que nous conspuons quelque peu. En cela que le film schizophrénique c’est celui, sous couvert de twist censément surprenant et novateur, qui replie le récit sur lui-même pour empêcher toute forme de dialectique. Tout sort et vient du même point. Rien ne va nulle part. Rien ne s’oppose. Rien ne se transforme. Or, la beauté de l’art, c’est précisément de créer une fragilité, une honnêteté, qui entre en collision pour s’annihiler et se réinventer. Ou sinon c’est de la démonstration. Ici, par exemple, le simple portrait de cet homme parlant avec sa propre famille en est une : c’est la démonstration d’un homme parlant de lui-même, avec lui-même, pour lui-même. La dialectique et le conflit seuls permettent la transcendance et la sublimation. Aussi, nous craignions rapidement que le film patine, qu’il devienne une forme de pornographie : du regret pour le regret. On peut filmer la bite en gros plan. On peut filmer le regret en gros plan. Pour un bon gros orgasme de deuil.
Mais alors quelque chose se passe. Car le héros emmène son amant voir ses parents… et l’amant lui aussi paraît les voir. Là, nous étions enfin saisis, après avoir failli perdre espoir. Car le fantastique, le genre, traversait la posture du regret, pour signifier que quelqu’un d’autre voyait les parents morts, et que, donc, une véritable étrangeté, et donc une véritable dialectique, pouvait naître de ce récit. On fut ainsi de plus en plus touché par les séquences avec les parents, ponctuées par cet inévitable adieu, quand le héros doit les oublier pour rejoindre son amant. Sauf que, patatras ! L’on apprend dans la foulée que l’amant aussi est un fantôme. Or c’est là un manque flagrant de lucidité narrative. Parce que non seulement le film repart dans ses travers de monologue schizophrénique, mais en plus le film tombe dans la répétition. Car après avoir dû dire au revoir à ses parents… le héros doit dire au revoir aussi à son amant. On demeure donc dans l’intériorité pornographique du regret, une intériorité qui pire encore se répète, pour un second orgasme de deuil. Alors que l’on attend une transfiguration de la perte pour atteindre une nouvelle forme de réalité, le film se referme sur lui-même comme un escargot dans sa coquille. On est pour finir assommé par la grandiloquence du dernier plan, la caméra s’éloignant du couple dans leur lit, finissant par flotter dans le cosmos. Comme quoi, un plan a beau être élégant, plus il est convoqué pour illustrer une fausseté, et plus il ne fonctionne pas, car c’est toujours la même chose : c’est le décalage, c’est l’écart, entre ce qui est dit et ce qui est fait, qui créé la beauté ou le raté. Dommage donc pour ce Sans Jamais Nous Connaître, dont l’on aimait l’idée et l’ambiance. Mais son développement et sa conclusion l’empêchent malheureusement de convaincre. 1,75/5.
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