The Whale, un film dont le sujet est si moderne et si cinématographique, qu’il sonne instantanément, dès les premiers plans, comme une évidence. À savoir l’obésité, poussée au point de ne plus pouvoir se tenir debout, et plus encore, de ne plus pouvoir sortir de chez soi : on a là, dès le pitch, un genre (le huis-clos) et un pur objet de cinéma (le corps monstrueux de gras, autodestructeur, presque en soi mystérieux et insondable). Surtout, l’on comprend aussi tout de suite que c’était là le sujet idoine pour Aronofksy, réalisateur talentueux, passionnant, mais qui a toujours fait de sa lourdeur, de son incapacité à traiter quoi que ce soit avec finesse, une force. Aussi, dans ce corps d’obèse, Aronofksy trouve un reflet idéal à son cinéma, un terrain de jeu infini : il est cet obèse, et cet obèse est lui.
D’emblée, on est convaincu par ce qui ne devrait pas nous convaincre : c’est laid, grotesque, on ne nous épargne rien. On démarre pied au plancher, avec Brendan Fraser obèse, se masturbant sur du porno gay, avant de faire une attaque, et de se mettre à réciter du Moby Dick, tout en recalant un prosélyte témoin de Jéhovah. Bref, malgré tous les défauts qu’on aurait pu trouver au film, on était prêt à l’aimer, comme l’on a aimé tous les films de Aronofsky depuis que ce dernier a embrassé ses incapacités pour en faire une beauté (on a en mémoire le génial et radical mother!). Mais rapidement, le film s’enlise et au lieu de continuer dans le dégueulasse et le ridicule devient de plus en plus sage et policé. En somme, il devient un film à Oscar, où Aronofksy paraît se mettre au service de Brendan Fraser, avec comme unique objectif de lui faire gagner le prix de meilleur acteur (ce que, bravo, il a réussi). Tous les personnages secondaires, en cela, intéressent peu : que ce soit l’infirmière asiatique, la fille rebelle mais littéraire, le prosélyte qui a fui sa famille, ou même l’ex-femme de Fraser (même si l’on est toujours content de revoir notre chère Samantha Morton).
Surtout, le film commet parfois l’erreur de nous proposer des séquences sans Brendan Fraser à l’écran, ce qui est incohérent au vu de l’importance de son corps et du fait de situer tout le film autour de la prison qu’il représente en tant que personne. Ainsi, quand la fille discute avec le prosélyte (quand elle l’enregistre secrètement) ou quand ce même prosélyte discute avec l’infirmière (qui le menace), le film devient non seulement mauvais, mais parfaitement ennuyeux. Certes, certains passages continuent de nous agripper, et ce sont ceux où Aronofsky traite toujours son récit avec le plus d’emphase possible, sans craindre d’y aller jusqu’au bout, sans craindre d’embrasser la lourdeur et de filmer ce corps d’obèse comme si c’était une figure mythologique. À chaque fois que Fraser se relève, que la musique s’intensifie, que cette masse se déploie devant le regard hébété des témoins : le film éveille quelque chose en nous. Plus le film est gros, et plus il est ce qu’il dit, plus il fait de son fond sa forme. Et même la fin, parce qu’elle est précisément grandiloquente, nous plaît et nous émeut.
Le tout dernier plan, cependant, avec l’idée de mettre en scène la mort par un envol, semble à côté de la plaque : cette façon de transfigurer la lourdeur en légèreté, par le principe de l’âme, qui permet au héros et aux spectateurs de quitter cette maison… c’est cohérent, mais la légèreté ne correspond pas à Aronofsky. En terminant The Whale, l’on regrette donc le film monstrueux, énorme, qu’il aurait pu être. Mais il y a tout de même une ironie presque poétique, de voir que c’est en abordant le sujet de l’obèse, qu’Aronofsky nous livre son film le plus court, le plus banal, le plus convenu. 1,5/5.
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