For All Mankind (saison 1, 2 et 3), qui lors du Pilot nous a peu ennuyé (c’était trop long, trop solennel, trop chiant tout simplement), et, épisode après épisode, nous a totalement convaincu. La série, pourtant, ne craint pas de s’aventurer sur le terrain des bons sentiments et de l’inclusivité (on a droit à tout, les femmes, les homosexuels, les noirs), mais jamais la saison 1 n’est là pour faire la leçon ou réduire son champ de vision. Non, à l’image de son beau générique, positif et rapidement emballant, elle cherche toujours à s’élever pour atteindre une forme de totalité, quitte même parfois à être un peu bête. En cela, For All Mankind nous a souvent rappelé ces grands récits américains d’autrefois, autant humanistes que patriotiques, qui pouvaient aller de The Newsroom à Lost. Plus généralement, la série commence à nous plaire dès l’épisode 2, quand l’on réalise que le héros ne sera pas Joel Kinnaman (transfuge de The Killing, et qui malgré ses qualités n’est simplement pas assez intéressant pour porter une série) mais, tout simplement, la série elle-même : car on est là, malgré les saisons assez réduites, face à une vraie série à l’ancienne. Autant dans les émotions que dans la structure, qui tend à la fresque et à la multiplication des points de vue. Ainsi, c’est le personnage de Molly Cobb qui rapidement saisit (interprétée par Sonya Walger, la Penny de Lost et que l’on n’avait jamais vue aussi bonne), et l’on sera même assez sidéré de voir l’ascension de ce personnage, pourtant absent du Pilot, devenir quasiment l’héroïne du récit pendant plusieurs épisodes. C’est avec elle, et surtout l’épisode 5, que l’on finit d’être séduit par For All Mankind : quand, tenue par Joel Kinnaman, elle s’enfonce dans le cratère de la lune. Ensuite, l’on aimera tout dans le récit, notamment ses ambiguïtés ambitieuses (comme le fait que Kennedy a octroyé un contrat à l’Illinois pour obtenir le vote des Républicains sur l’amendement de l’égalité homme-femme, quitte à faire détruire une valve et créer l’explosion d’Apollo 21), le summum étant l’épisode 9. On est alors au cœur de la dialectique permise par l’art de la série. Car, en une seule séquence, on se retrouve confronté à des personnages qui pensent tous différemment, et que pourtant, en tant que spectateur, l’on comprend tous. Margot Maddison qui veut abandonner Cobb, Tracy qui veut la sauver, Cordo l’aliéné qui reprend le micro… L’on est alors absolument emballé, au point de vivre là peut-être nos plus grands émois sériels depuis The Affair. De la même façon, l’on aimera beaucoup le moment où Karen Baldwin révèle au mari hippie de Molly que la mort de son enfant lui a révélé qu’elle ne savait pas qui elle était : on est là dans l’émancipation pure, parce qu’il tend moins à un féministe idéologique qu’à un féministe existentialiste. Pourtant, avec l’épisode 10, l’on déchante un peu : les morales et les bons sentiments se font parfois un peu trop forts, l’on regrette que tout finisse aussi bien. Peu importe, la série réussit là encore l’essentiel avec cette séquence où Deke, au bord de la mort, perdu dans l’espace, n’accepte pas l’homosexualité d’Ellen. C’est intense, parce que Deke demeure un beau personnage – et parce que Ellen elle-même doit se questionner quant au fait qu’elle était sur le point, même dans le néant, de continuer à mentir sur sa vie.
Problème. La série devient ensuite un délire halluciné de wokes. Parce que la série est une réécriture de l’histoire, avec donc ce mouvement féministe fictif décrit dans la saison 1 (avec les femmes astronautes), elle part du principe que l’histoire du monde va être réécrite en fonction. Ce qui était un intéressant postulat dans la saison 1, créant dialectique et conflit avec la réalité du monde, devient un délire pur dans les saisons 2 et 3, se déroulant respectivement dans les années 80 puis dans les années 90. For All Mankind a fait un rêve – et il est ensuite tombé dedans. Tout devient absurde. La saison 2 parce qu’elle effectue une transition entre la saison 1 (monde de la réalité et de la dialectique) et la saison 3 (monde du délire et de la fantaisie), est encore parfois acceptable. L’on sera intéressé par l’évolution du couple de Tracy et Gordo Stevens, et surtout l’on sera très ému par leurs conclusions, courant sans combinaison sur la lune, avant de mourir frigorifiés dans les bras l’un de l’autre (oui, on a pleuré). Navré, l’on contemple l’idéologie prendre le pas sur l’intuition pure, mais celle-ci, parfois, est encore là. Mais que dire de cette saison 3 et surtout de la façon dont sont représentés les minorités et surtout les femmes. Non seulement elles sont toutes dénuées de failles, comme si les scénaristes étaient tétanisés de révéler chez elles de possibles défauts (et donc de faire d’elles des personnages intéressants), mais en plus leur parcours est narrativement incohérent, ce qui provoque un double problème. On sera ainsi stupéfait de voir que la jeune immigrée que Margot Maddison aidait dans la saison 1… devient une astronaute et va sur la lune. On sera stupéfait de voir que la jeune vietnamienne adoptée par Ed Baldwin… devient une astronaute et va sur la lune. On sera stupéfait de voir que la pilote lesbienne Ellen Wilson… non seulement devient une astronaute mais présidente des États-Unis (oui, oui). Enfin, summum du summum : la femme d’Ed Baldwin, femme au foyer dans la saison 1 puis gérante d’un bar dans la saison 2… devient Elon Musk dans la troisième (en construisant un hôtel spatial). Ainsi on ne peut plus croire aux personnages (ils sont parfaits) ni à l’histoire (elle est parfaite). Ajouté à cela que, contrairement aux hommes, constamment grimés pour témoigner du temps qui passe (voir Ed Balwdin, Gordo Stevens ou le mari gay de Ellen Wilson), les femmes elles ne changent jamais, et vraiment on ne sait plus quoi dire. Quel est ce féminisme absurde où la beauté d’une femme est d’avoir du pouvoir, du succès mais d’être vide, bête, sans intérêt ? Quelle est cette dégénérescence démente où les seuls personnages qui comptent sont ceux qui gagnent ? Si bien qu’au dernier épisode on explose de rire. D’abord, tout est délirant : que la fille de Joel Kinnaman soit devenue astronaute, que la fille de Joel Kinnaman soit sur Mars, que la fille de Joel Kinnaman fasse l’amour avec un russe sur Mars (!), que la fille de Joel Kinnaman tombe enceinte sur Mars (!!), que personne ne trouve cela problématique, que tout l’équipage soit prêt à se sacrifier pour elle afin de sauver son bébé… Mais vraiment où on finit par se pisser dessus de rire, c’est quand Joel Kinnaman, après avoir dépassé sa terreur de la perte (son premier fils étant mort quand il était sur la Lune), sauve sa fille… avant d’apprendre, dans le même temps… que sa femme devenue Elon Musk est morte dans un attentat (fomenté par des complotistes blancs) à la NASA. Rapidement, dans cette série, plus rien n’a de sens, plus rien n’est vrai, plus rien ne tient. Comment tomber aussi bas ? Comment réaliser des moments aussi beaux, aussi en phase avec la dialectique et la noirceur du monde, pour s’évaporer dans un délire idéaliste en-dehors de l’orbite du réel ? L’on ne sait pas. Le générique de la série devient d’ailleurs, à chaque visionnage, toujours plus une absurdité. L’on était, autrefois, heureux de retrouver ces héros et de décoller à travers leur mouvement positif : désormais, on ne voit là qu’une aberration hystérique pour dissimuler cette gigantesque chute que la série effectue dans le néant. Rien ne décolle : tout s’effondre. Pour être plus clair : non, l’on ne regardera pas la suite. 1,5/5.
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